À 61 jours de l’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST), la CNESST n’est pas prête, dénoncent employeurs, syndicats et entreprises de santé et sécurité de l’industrie de la construction.

Pour respecter cette nouvelle loi qui modifie la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), de nouveaux représentants en santé et en sécurité doivent être sur les chantiers de construction le 1er janvier. Or, les acteurs de l’industrie affirment ne pas savoir comment ces représentants seront formés, car la Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) n’a pas encore déterminé le contenu de la formation ni qui la donnera. Ces nouveaux représentants en santé et en sécurité n’ont pas encore été sélectionnés.

« Si la CNESST n’est pas prête, qu’elle ait la sagesse de le dire et qu’elle demande plus de temps au gouvernement », affirme en entrevue Éric Côté, PDG de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec. 

Il faut que le gouvernement ouvre d’urgence la loi et modifie cet élément-là ou qu’il fasse un arrêté ministériel particulier pour dire, on n’est pas prêt, on était ambitieux, faisons les choses comme il le faut.

Éric Côté, PDG de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec

Éric Côté soutient que l’industrie n’a pas besoin de deux ans, mais de quelques mois supplémentaires seulement afin que tout soit en place.

Lettre conjointe

Toutes les associations patronales affirment que la CNESST manque de rigueur et de transparence dans ce dossier. Dans une lettre envoyée au ministre du Travail ainsi que dans une déclaration commune destinée à la CNESST, dont La Presse a obtenu copie, les associations dénoncent la « grande variation des décisions de la CNESST » qui « est revenue maintes fois sur ses propres décisions quant au diffuseur de la formation ».

« Tout le temps perdu oblige le comité consultatif à faire les choses dans la précipitation, et cela ne nous apparaît pas la bonne marche à suivre », écrivent les associations patronales.

« La catastrophe, on la sent venir, soutient en entrevue Guillaume Houle, porte-parole de l’Association de la construction du Québec (ACQ). Parce que les gens qui vont être nommés en janvier 2023 n’ont aucune obligation de formation. Il y a une incongruité dans la loi. Elle oblige la formation seulement pour janvier 2024. »

Dans le point un de leur mandat, c’est l’inspection des lieux de travail. On va envoyer des gens inspecter des lieux de travail sans aucune formation.

Guillaume Houle, porte-parole de l’Association de la construction du Québec, au sujet des représentants en santé et en sécurité

La LMRSST prévoit un représentant en santé et en sécurité (RSS) à temps partiel sur les chantiers de 10 à 99 travailleurs, tandis qu’elle en prévoit un ou plusieurs à temps plein sur les chantiers de 100 travailleurs et plus ou dont le coût des travaux du chantier excède 12 millions de dollars.

« À la veille de l’entrée en vigueur des dispositions de la loi, trop d’éléments restent à définir pour assurer la pleine application par les entrepreneurs des mécanismes prévus dans la loi. Nous risquons de semer la confusion, ralentir indûment les travaux, envenimer le climat de travail et risquer la sécurité de nos travailleurs sur les chantiers de construction au Québec », dénoncent les associations dans la déclaration commune présentée à la CNESST le 20 octobre dernier.

« On le savait depuis l’année passée qu’il fallait former les RSS et ce n’est pas fait. On aurait pu passer l’année à former ces gens-là. Il y a déjà des programmes qui existent, est-ce qu’on peut s’en inspirer et les mettre au niveau de 2022 ? », questionne Éric Côté, qui souligne qu’à l’heure actuelle des entrepreneurs déposent des soumissions « un peu à l’aveugle », car ils ne peuvent pas prévoir les coûts et les modalités qui seront reliés aux représentants en santé et en sécurité.

800 représentants à former

François Simard, PDG d’Équipe SST, une entreprise spécialisée en gestion de la santé et sécurité sur les chantiers de construction, précise qu’il faut le même nombre de représentants en santé et en sécurité que de coordonnateurs en santé et en sécurité, désignés par les maîtres d’œuvre sur les chantiers de 100 travailleurs et plus ou dont le coût des travaux du chantier excède 12 millions de dollars.

« On a 800 coordonateurs alors, théoriquement, on devrait avoir aussi 800 représentants santé sécurité, dit-il. On n’aura pas le temps de former tout le monde. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

En vertu de la loi, de nouveaux représentants en santé et en sécurité doivent être sur les chantiers de construction à compter du 1er janvier.

François Simard s’inquiète aussi du fait que la formation des coordonnateurs en santé et en sécurité s’arrêtera en janvier 2023 pour ne reprendre qu’à l’automne 2023, car le nouveau contenu n’est pas encore approuvé par la CNESST. « On en a cruellement besoin, de cette formation, parce qu’il manque de coordonnateurs partout », observe-t-il.

Bien que la CNESST ne soit pas prête, la FTQ-Construction affirme de son côté qu’elle le sera en janvier 2023 et accompagnera ses membres qui le réclameront.

« Pour les RSS à temps partiel, faute de formation, on pourra les soutenir, leur donner des conseils ou les appuyer dans leurs démarches », affirme au téléphone Simon Lévesque, responsable de la santé et sécurité à la FTQ-Construction, qui siège aussi au conseil d’administration de la CNESST. « Pour celui à temps plein, on avait notre propre contenu qu’on donnait aux représentants sur les chantiers de grande importance de 500 travailleurs et plus. On va donc continuer de le faire. »

Le syndicat souhaite pouvoir continuer de former ses membres, les nouveaux RSS, avec le nouveau contenu approuvé par la CNESST, tandis que les associations patronales voudraient des formateurs neutres.

La Presse a demandé à la CNESST si les nouveaux représentants en santé et en sécurité, qui doivent être en poste en janvier 2023, sont prêts et s’ils seront formés par le Collège Ahuntsic comme le sont les coordonnateurs en santé et en sécurité.

« La CNESST analyse actuellement les questions transmises par La Presse et transmettra les précisions demandées dans les prochains jours », a-t-elle écrit par courriel.

La CNESST ajoute qu’elle dit comprendre les enjeux que génèrent ces modifications au sein des milieux de travail et mettra tout en œuvre pour appliquer les changements législatifs et soutenir les employeurs, les travailleurs et travailleuses dans la mise en œuvre de cette loi.