Centralisation des instances de direction, érosion du pouvoir des caisses populaires et du sentiment d’appartenance des membres, failles dans la gouvernance au conseil d’administration. Ce n’est qu’un échantillon des faits saillants d’une étude exhaustive et très critique sur l’évolution du Mouvement Desjardins qui a été réalisée par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).

Publiée à quelques semaines d’un « congrès d’orientation » prévu cet automne chez Desjardins, l’analyse de l’IREC soulève « de sérieuses questions à propos des orientations prises par la coopérative de services financiers au cours des dernières années ».

« Desjardins a connu une centralisation qui a provoqué l’érosion du pouvoir des caisses et un étiolement du sentiment d’appartenance chez le membre propriétaire. Ces transformations affectent la façon dont Desjardins s’acquitte de sa mission coopérative », indique Robert Laplante, directeur général de l’IREC et l’un des auteurs de l’étude.

Plusieurs des choix de gestion de Desjardins l’ont éloigné de ses milieux d’appartenance en plus d’appauvrir sa vie démocratique. L’institution semble de moins en moins en phase avec les défis des collectivités, au point où la désignation de Desjardins comme Mouvement relève désormais davantage de son héritage que de sa véritable réalité institutionnelle.

Robert Laplante, directeur général de l’IREC et l’un des auteurs de l’étude

De l’avis du coauteur de l’étude, Hubert Rioux, chercheur à l’IREC et professeur en politiques publiques, « le Mouvement Desjardins se targue, souvent avec raison, d’être parmi les institutions financières les mieux gérées du monde, suivant les meilleures pratiques administratives et financières internationales ».

Or, constate M. Rioux, « non seulement le Mouvement a-t-il trop longtemps fait l’économie d’une réflexion démocratique sur ses pratiques en matière de culture coopérative, de soutien aux communautés et de solidarité financière, mais on se rend compte que Desjardins fait bande à part des autres grandes coopératives financières du monde face à des situations comme l’abolition des structures régionales ou la fusion des fonctions de haute direction ».

Dans leur analyse, Robert Laplante et Hubert Rioux identifient quatre constats principaux envers lesquels Desjardins doit « faire preuve d’audace ».

Changements structurels

« L’abolition des fédérations régionales [de caisses populaires au début des années 2000] a constitué une transformation majeure qui aurait pu être bénéfique si elle s’était accompagnée de l’invention de nouveaux moyens de faire participer les régions », selon le rapport.

Au contraire, « il s’en est suivi une dilution de son originalité coopérative et un appauvrissement de la démocratie économique » qui s’avèrent maintenant un « risque réputationnel pour l’institution, à son image et à son identité coopérative ».

Haute direction

Selon le rapport, la direction de Desjardins se trouve dans une « situation particulière » avec « la même personne qui occupe à la fois les fonctions de président [du conseil d’administration] et de chef de la direction ».

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Cormier, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins

« Cette situation est quasi exceptionnelle dans le domaine coopératif pour les organisations comparables. Cela prive Desjardins d’un dynamisme démocratique essentiel », selon les chercheurs.

Ils s’inquiètent aussi de la décision d’élargir le conseil d’administration de Desjardins à des administrateurs recrutés à l’extérieur du mouvement coopératif, notamment dans des « entreprises commerciales conventionnelles ».

Surcapitalisation

Selon les chercheurs, la gestion des actifs et des capitaux de base chez Desjardins en fonction des accords internationaux de sécurisation bancaire intervenus après la crise financière de 2008 a mené à un « ratio de capitalisation chez Desjardins qui surpasse largement les exigences prévues pour les institutions d’importance systémique ».

« Les dirigeants sont très fiers de ce résultat obtenu au prix de réformes dont les conséquences sont majeures pour le positionnement de Desjardins dans les marchés financiers et dans l’économie du Québec », selon Hubert Rioux.

Parmi ces conséquences, les chercheurs soulignent « le déclin relatif des activités de crédit et de dépôt » ainsi que « l’érosion des parts de marché » de Desjardins et une « perte d’influence du mouvement coopératif sur le développement économique du Québec ».

Pistes d’orientation

Selon les chercheurs de l’IREC, Desjardins peut encore faire des choix lors de son prochain congrès d’orientation afin de retrouver des « pistes de renforcement de sa vocation coopérative ». Parmi leurs propositions à Desjardins, on note :

  • accroître l’implication des caisses dans le développement économique de leur région en misant sur la décentralisation et le renforcement des instances régionales ;
  • améliorer l’accompagnement et les services aux membres, en particulier les plus démunis, avec des programmes de solidarité plus généreux et mieux adaptés ;
  • stimuler la participation démocratique des membres et dynamiser les rapports entre l’association coopérative et la direction corporative de Desjardins en dissociant les fonctions de président du conseil et de chef de la direction ;
  • accorder une plus grande place et de meilleures conditions aux coopératives et aux entreprises d’économie sociale.