La Banque centrale européenne (BCE) écrira à partir de mardi une nouvelle page de son histoire en endossant les habits de superviseur bancaire unique en zone euro, premier jalon du chantier d'Union bancaire destiné à éviter de futures crises financières en Europe.

Mieux anticiper les chocs et résoudre au plus vite les situations de crise, telle sera la mission de cette autorité, qui sera installée dans l'Eurotower, l'actuel siège de la BCE niché en plein coeur du quartier d'affaires de Francfort.

La surveillance sera «rigoureuse, équitable et indépendante» et menée «sur une base quotidienne», a promis sa patronne, la française Danièle Nouy, qui sera secondée par l'Allemande Sabine Lautenschläger, également membre du directoire de la BCE.

L'organe de supervision, ou «SSM», aura à l'oeil les 120 plus grandes banques de la zone euro, détenant plus de 80 % des actifs bancaires de la région. Un chiffre qui pourrait encore grimper si des pays de l'Union européenne non membres de la zone euro entraient dans le mécanisme.

Quelque 3500 établissements de moindre importance resteront eux sous la responsabilité de leurs superviseurs nationaux, mais la BCE se réservera le droit de reprendre la main sur certains d'entre eux en cas de problème.

Ce dispositif sera flanqué à terme d'un mécanisme commun de gestion et de résolution des crises bancaires (SRM) et d'un système unifié de protection des dépôts, les trois piliers du projet d'Union bancaire en Europe destinés à éviter qu'un nouveau naufrage des banques ne déstabilise les États et l'ensemble de l'économie de la région, comme ce fut le cas pendant la dernière crise financière.

Séparation des tâches

L'idée est de scruter l'activité des banques dans une perspective européenne et non plus nationale. Une mission cruciale pour les gardiens de l'euro qui entendent ainsi restaurer la confiance des investisseurs, échaudés par des crises bancaires comme en Espagne ou en Grèce, qui avaient semé le doute quant à la rigueur et l'indépendance de certains superviseurs nationaux.

Pour mener à bien cette nouvelle tâche, dont les coûts seront couverts par les banques elles-mêmes, la banque centrale a recruté depuis l'an dernier près d'un millier de nouveaux collaborateurs.

Le choix de la BCE pour le rôle de superviseur est loin de faire l'unanimité en Europe, et notamment en Allemagne, où l'on craint que l'institution soit juge et parti.

Pour éviter tout conflit d'intérêts, une stricte séparation sera imposée aux équipes de la BCE, promet celle-ci. Les personnels dédiés à la gestion de la politique monétaire s'installeront dans une nouvelle tour située à quelques kilomètres et le SSM sera dirigé par un conseil de surveillance distinct du conseil des gouverneurs de l'institution.

Des questions en suspens

Soucieux d'éviter les mauvaises surprises, les banquiers centraux ont mené depuis fin 2013 une vaste revue des actifs détenus par les banques, assortie d'un test de résistance destiné à évaluer leur solidité face à une détérioration de la conjoncture.

Cette opération, dont les résultats ont été publiés dimanche, a déjà porté ses fruits: à l'approche de cet examen, les banques européennes ont renforcé leurs bilans à hauteur de 200 milliards d'euros et seuls 13 établissements, dont cinq italiens, vont devoir prendre de nouvelles mesures pour muscler leur assise financière. Au total, 9,5 milliards d'euros manquent au pot.

Pas sûr toutefois que cela suffise à lever les doutes quant à la solidité du secteur européen, soulignent certains analystes.

«Des questions se posent concernant la méthodologie des tests de résistance. (...) Une déflation n'a absolument pas été prise en compte. C'est un jeu dangereux pour la BCE», déplore Laurent Bakhtiari, expert de marché chez IG Bank.

De son côté, l'agence de notation Standard & Poor's note que même si la majorité des banques a passé le test avec succès, le secteur reste vulnérable, notamment aux risques de crise géopolitique.

«Il y a trop de banques en Europe», estime José Vinals, directeur du département marchés de capitaux au sein du Fonds monétaire international (FMI), dans un entretien au quotidien allemand des affaires Handelsblatt. Selon lui, «les établissements financiers n'ont pas encore réussi à adapter leur modèle aux changements de l'environnement post-crise».