Ce qui frappe en entrant, ce sont les écrans géants fixés au mur de cette salle feutrée aussi vaste qu'un gymnase. Avec leurs tracés lumineux et leurs points qui clignotent, ces deux écrans de 15 mètres de large ressemblent à d'immenses panneaux électriques. Puis, on remarque les 130 contrôleurs qui travaillent à voix basse, chacun caché derrière une mosaïque d'écrans d'ordinateurs.

On se croirait à la NASA. Mais on ne pourrait en être plus loin. Nous sommes à Perth, la métropole la plus isolée de l'Australie, là où le soleil se couche sur l'océan Indien. Au nouveau centre nerveux de Rio Tinto, une société minière qui, comme le reste de son industrie, est encore perçue comme une pioche de la technologie.

Ici, les contrôleurs travaillent nuit et jour, 365 jours par année, pour veiller à la fluidité de la production de minerai de fer, à 1500 kilomètres au nord de là, dans la région du Pilbara. Quatorze mines, 32 trains longs de 2,5 kilomètres, 1400 km de voie ferrées, trois ports et un bataillon de camions, de convoyeurs et de déchargeurs. De leurs fauteuils où ils peuvent parler directement aux opérateurs de machinerie et suivre à la trace la progression des chargements grâce à 200 caméras, ces contrôleurs orchestrent un étrange ballet mécanique.

Rien n'est laissé au hasard, pas même la composition chimique de chaque chargement, modulée selon les exigences des clients. Les trains doivent arriver au port juste avant que les vraquiers, partis 12 jours plus tôt de Chine, accostent sur le quai. «Chaque bateau qui poireaute une journée dans le port, c'est un million qui part en fumée», note Aaron Carter, un expert en infrastructures qui travaille au centre des opérations de Rio Tinto.

Comme toute l'industrie minière de l'Australie, Rio Tinto ne veut pas perdre une seconde de ce formidable boom. C'est une course contre la montre pour accroître la production et profiter des prix élevés des matières premières.

Première minière au monde, BHP Billiton prévoit consacrer 80 milliards US au développement de nouvelles ressources d'ici cinq ans. C'est ce qu'a indiqué son grand patron, Marius Kloppers, en février, alors qu'il dévoilait des profits net records pour la première moitié de son année financière. En hausse de 72%, ils ont totalité 10,5 milliards US!

De son côté, Rio Tinto a empoché un bénéfice net de 14 milliards US en 2010, un record qui s'explique par la hausse du prix du minerai de fer, le métal le plus utilisé au monde. Société mère d'Alcan et de la Companie minière IOC, de Sept-Îles, Rio Tinto prévoit augmenter de 50% sa production de minerai de fer d'ici 2015 en Australie-Occidentale, à 333 millions de tonnes métriques par année. Pour ce faire, elle investira 14,8 milliards US.

C'est sans parler des grands projets gaziers dans le nord de l'Australie-Occidentale, dont le complexe offshore Gorgon de gaz naturel liquéfié, un investissement de 43 milliards$A piloté par Chevron.

Au-delà des projets en cours en Australie-Occidentale, les entreprises envisagent des investissements supplémentaires de plus de 150 milliards$A, selon le gouvernement. C'est la ruée vers le Pilbara -mot aborigène qui signifie mulet, un poisson des mers tempérées.

Ces investissements rejaillissent sur toute l'Australie-Occidentale. C'est visible à Perth, la capitale économique de la province de l'État. Les marteaux piqueurs résonnent partout dans cette ville de 1,7 million d'habitants.

Nouvel aréna. Nouvelles tours à bureaux. Nouveau super-hôpital. Même le remodelage des berges de la Swan River, un vaste projet immobilier attendu depuis trois décennies, va enfin aller de l'avant.

Mais cette croissance rapide ne se fait pas sans accrocs. L'envers de ce boom, c'est la difficulté de dénicher des travailleurs. Et de les loger à proximité des mines et des chantiers, dans les terres rouges du Pilbara, une région aride où le mercure franchit les 45 degrés en été.

L'industrie des mines et de l'énergie emploie 205 800 travailleurs en Australie, soit 75 000 personnes de plus qu'il y a cinq ans, selon le Australian Bureau of Statistics. À elle seule, Rio Tinto prévoit recruter 4500 travailleurs supplémentaires d'ici cinq ans, en plus de 7000 contractuels, pour ses opérations d'extraction de minerai de fer en Australie-Occidentale.

Or, le taux de chômage dans la province s'élevait à seulement 4,4% en février, contre 5% pour l'ensemble de l'Australie. «Si le gouvernement fédéral n'assouplit pas ses politiques d'immigration, il va nous manquer 210 000 travailleurs au cours de la prochaine décennie. Mais le gouvernement se soucie plus de la surpopulation dans les grandes villes de l'Est que des besoins criants à l'Ouest», déplore James Pearson, PDG de la Chambre de commerce et d'industrie de l'Australie-Occidentale.

En attendant, l'industrie a recours à une armée de travailleurs volants, appelés «fly-in fly-out». Avant l'aube, à l'aéroport de Perth, des centaines de travailleurs avec des vestes aux couleurs de leur entreprise -jaune fluo pour Rio Tinto, orange pour BHP- prennent l'avion à destination de camps miniers du Pilbara ou du Kimberley.

Ils sont si nombreux que l'aéroport de Perth construit, au coût de 500 millions de dollars, une nouvelle jetée qui leur sera entièrement consacrée. Tout pour nourrir cette industrie dévoreuse d'hommes.