Les victimes d'Earl Jones auraient bien aimé voir la juge Hélène Morin imposer la sentence maximale de 14 ans de prison à celui qui les a bernés. Mais les spécialistes joints par La Presse Affaires jugent raisonnable, voire sévère, la peine de 11 ans d'emprisonnement retenue par la juge.

Selon Anne-Marie Boisvert, professeur de droit criminel à l'Université de Montréal, cette sentence est sévère dans l'état actuel de la jurisprudence. «C'est un message clair, une peine importante. Les victimes vont trouver que ce n'est pas beaucoup, mais la peine ne répare rien», rappelle-t-elle.

Bernard Grenier, juge à la retraite et avocat-conseil chez Schurman Longo Grenier, estime que la sentence est dans les normes. «Ce n'est pas une sentence bonbon, ni le maximum. C'est une sentence qui se défend bien.»

La Couronne et la défense avaient d'ailleurs fait une recommandation commune à la juge Morin. Les victimes espéraient que la juge aille au-delà de cette recommandation. Mais il est plutôt rare que cela se produise.

«Plus souvent qu'autrement, ces recommandations conjointes ont du sens et les juges vont souvent s'y rallier, explique Bernard Grenier. Le juge est toujours libre, mais les tribunaux d'appel ont rappelé aux juges de première instance qu'ils devaient avoir une certaine déférence envers la recommandation, sauf s'ils estimaient que la peine proposée n'avait pas de bon sens.»

La juge Morin a effectivement trouvé que la proposition était «raisonnable».

La peine maximale n'est imposée que très rarement. Il faut qu'il y ait tous les facteurs aggravants, et aucun facteur atténuant, rappelle aussi Anne-Marie Boisvert. Dans le cas Earl Jones, un facteur atténuant évident est le fait que l'accusé a plaidé coupable.

22 mois de prison?

La possibilité qu'Earl Jones profite d'une libération conditionnelle au sixième de sa peine (22 mois) irrite aussi les victimes.

«Il y a de fortes chances que M. Jones obtienne cette libération, dit l'avocat criminaliste Jean-Claude Hébert. Pour une première condamnation pour un crime de non-violence physique, c'est quasiment automatique.»

«D'ici là, les lois ont le temps de changer», disait hier Denise Octeau-Tescher, une victime présente au prononcé de la sentence et qui portait pour l'occasion une casquette aux motifs de barreaux de prison.

L'automne dernier, le Bloc québécois a fait pression sur le gouvernement conservateur pour revoir ces possibilités de libération au sixième de la peine. La question n'était pas réglée au moment de la prorogation du Parlement.

Si une modification était apportée à la Loi avant les 22 premiers mois de prison d'Earl Jones, il n'est pas clair si elle pourrait s'appliquer à son cas. «Traditionnellement, les élus du peuple ne votent pas de lois rétroactives, dit Jean-Claude Hébert. Mais le Parlement est souverain et peut prévoir une date précise d'application, même rétroactive.»

Anne-Marie Boisvert est plus affirmative. «La libération conditionnelle est une modalité d'application de la peine. Ce peut être modifié en cours de route.»