Un vent glacial traverse les plaines du Kansas et balaie Wichita.

Les rues du centre-ville sont désertes. Le quartier banché de la vieille ville, Old Town, semble abandonné. Ce n'est cependant qu'une illusion : derrière les lourdes portes et les épais murs de brique rouge des bars et des restaurants, les habitants sont nombreux à manger et à boire, bien au chaud.

Wichita n'a pas peur du vent du nord. Elle se préoccupe plutôt des vents contraires qui viennent du sud. Qui viennent du Brésil et du Mexique.

« Pendant longtemps, je pensais que le seul problème qui pouvait provenir de l'étranger venait des Canadiens français, lance Jack Pelton, le président et chef de la direction de Cessna, en regardant la journaliste de La Presse Affaires dans les yeux. Mais maintenant, il y a les Brésiliens. 

« Embraer a montré qu'elle était une grande entreprise, poursuit-il. Maintenant, elle a décidé d'envahir notre espace. C'est très analogue à ce qu'elle a fait dans le marché de l'aviation régionale. »

Il rappelle qu'avant l'arrivée de l'avionneur brésilien, Bombardier occupait confortablement tout ce marché. En quelques années, Embraer s'est emparé de la moitié du marché. L'entreprise vise maintenant l'aviation d'affaires et lance de nouveaux modèles pratiquement chaque année.

« Ce qui m'inquiète, c'est qu'Embraer arrive dans un marché où il y a plus d'un compétiteur. Elle prendra des parts de marché à tout le monde. »

Le président et chef de la direction d'Hawker Beechcraft, Bill Boisture, prend également la menace au sérieux.

« C'est une force dont il faudra tenir compte, déclare-t-il à La Presse Affaires. Ils font de bons avions, très solides. Ils amènent de la bonne technologie, un bon design. Personne ne le sait mieux que les gens dans votre ville. »

Hawker Beechcraft entend résister à la tempête brésilienne avec des appareils de qualité, fiable, et avec un réseau mondial de centres de services.

Le directeur général de Bombardier Learjet, David Coleal, attend Embraer de pied ferme. Pas question de sous-estimer l'avionneur brésilien, comme les trois grands de l'automobiles ont sous-estimé les manufacturiers japonais.

« Nous sommes conscients de la menace, affirme cet ancien cadre de Toyota. Nous pensons que nous comprenons leur stratégie et nous allons répliquer avec la nôtre. »

Le maire de Wichita, Carl Brewer, indique que d'autres pays pourraient également s'intéresser à l'aviation d'affaires. Plutôt que lutter contre cette tendance, Wichita essaie d'attirer ces nouveaux joueurs.

« Mon but, c'est de créer un environnement propice afin que ces nouvelles entreprises aient Wichita sur leur écran radar, affirme-t-il. Je veux qu'elles se disent que pour bénéficier du meilleur environnement, de la main d'oeuvre la plus spécialisée, elles doivent établir une usine à Wichita. »

Déjà, Wichita offre une série d'incitatifs pour attirer et conserver l'industrie, comme des avantages fiscaux.

« Pour être compétitif, il faut offrir des incitatifs, comme tout le monde, déclare le maire Brewer. Tout ce que les autres offrent, nous l'offrons aussi. »

Le transfert d'emplois au Mexique inquiète également M. Brewer.

« C'est une réalité qui ne disparaîtra pas de si tôt », soupire-t-il.

Il est notamment déçu de voir que Bombardier Learjet ait décidé de faire fabriquer à Querétaro la structure en composite de son nouveau Learjet 85.

David Coleal rappelle cependant que l'assemblage final et l'aménagement du nouvel appareil se feront à Wichita, comme pour tous les autres avions Learjet.

« Nous aurons alors besoin de plusieurs centaines de nouveaux employés, prévoit-il. Nous devrons agrandir nos installations. »

Il n'y a pas que Learjet qui regarde du côté du Mexique. Cessna a récemment annoncé la fermeture de son usine de Columbus, en Géorgie. Une partie des 300 emplois touchés seront transférés à Independence, au Kansas, et au Mexique.

« À l'époque, les clients se souciaient relativement peu du prix, raconte Jack Pelton. Ce n'est plus le cas et nous devons trouver des façons de réduire nos coûts. Le Mexique nous donne cet avantage, tout en étant à seulement deux heures de vol d'ici, dans le même fuseau horaire. »

Le président du district 70 de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, Steve Rooney, comprend que les entreprises soient attirées par les salaires peu élevés du Mexique, mais il déplore cette tendance.

« J'ai travaillé chez Boeing pendant 35 ans, je suis un travailleur de l'aéronautique de troisième génération, indique-t-il. Je pense que ce n'est pas correct d'enlever quelque chose aux gens d'ici. »