C'est une donnée qui en surprendra certains: là-haut sur son rocher dans l'Atlantique, Saint-Jean, Terre-Neuve, connaît un taux de chômage plus faible que Montréal, soit 8,2% comparativement à 9,6%. Les résidants de Saint-Jean peuvent ainsi dire un gros merci à l'industrie pétrolière offshore. Les Terre-Neuviennes aussi, parce que leurs hommes ont commencé à rentrer d'un exil forcé, espérant enfin trouver un boulot chez eux. Avec ce portrait, Stéphane Paquet termine sa série intitulée Comment ça va? qui l'a mené du Pacifique à l'Atlantique.

Pas facile, la vie de «veuves du pétrole» comme on les appelle ici, ces femmes restées à Terre-Neuve pendant que leurs hommes sont partis gagner de gros dollars en Alberta. Pas facile, mais, pour certaines, ces unions à distance tirent à leur fin.

Elizabeth Dubeau reverra son mari André en fin de semaine. La dernière fois qu'il est entré chez lui, à Green's Harbor, sur le bord de la baie Trinité, c'était en juin, il y a trois mois. Il s'occupe des cuisines dans un grand chantier pétrolier dans le nord de l'Alberta.

«La plupart des femmes à qui je parle disent que ça les affecte, que c'est difficile», dit pudiquement Mme Dubeau, sans entrer dans les détails de son propre couple. «Je suis très inquiète pour le tissu familial, ajoute-t-elle. Il y a un prix à payer pour tout ça.»

Hermance Paulin, de Saint-Jean, a aussi vécu les allers-retours en Alberta de son conjoint, un électricien qui travaillait quatre semaines dans l'Ouest, puis rentrait chez lui pendant deux semaines. C'était il y a deux ans.

«En ce moment, il serait prêt à y retourner, mais la dynamique de Fort McMurray a changé», explique Mme Paulin. Avec le ralentissement économique en Alberta, plusieurs entreprises qui venaient chercher des travailleurs à Terre-Neuve sont moins généreuses. Les billets d'avion doivent maintenant être payés par les employés.

Mais il y a plus que la détérioration des conditions dans l'Ouest. Avec la récession qui se fait à peine sentir à Saint-Jean, plusieurs ont trouvé du boulot ici.

Au bureau de l'agence de placement Manpower, dans la capitale terre-neuvienne, la directrice de la succursale voit revenir les travailleurs de l'Ouest. «Avant, ils appelaient avant de revenir (pour s'informer s'il y avait des emplois), explique Karen Myers. Maintenant, ils se présentent simplement avec leur CV et disent: «Je suis ici, j'ai besoin d'un emploi!»»

«L'économie est étonnante et on aime ça», lance Gary Holden, propriétaire de gîtes du passant, à Saint-Jean, de même que de restaurants et de logements.

Les affaires roulent tellement rondement, ajoute-t-il comme plusieurs nous l'ont raconté ces derniers jours, qu'il a de la difficulté à trouver des travailleurs manuels pour faire des travaux à ses propriétés. «Ça ne s'était jamais produit auparavant.»

Récemment, il a placé une annonce sur le web. «J'ai eu des appels de l'extérieur de la province», dit-il, des Terre-Neuviens qui veulent rentrer.

Le Français Stéphane Huiban a lui aussi répondu à une annonce sur l'internet, celle de Husky Energy qui cherchait depuis plus de six mois un ingénieur en forage avec de l'expérience internationale. Il venait de finir un contrat au Qatar. L'affaire s'est conclue avec un seul entretien téléphonique.

Quand on l'a rencontré, lundi, il entamait sa deuxième semaine dans l'île et s'apprêtait à retourner chercher sa famille à Chamonix. «On sent qu'on est le bienvenu. Ça faisait au moins six mois qu'ils cherchaient quelqu'un.»

L'historien Steven Watt ne se fait pas d'illusion: la manne pétrolière n'a pas profité à tout le monde, estime celui qui est aussi directeur général de l'association communautaire francophone de Saint-Jean. Si le taux de chômage est à 8,2% dans la capitale, c'est plus difficile ailleurs. «Si le taux de chômage est de 15,6% dans la province, ça veut dire que, quand tu quittes la ville, c'est 30%, 40%, 50% (de chômeurs) quand tu commences à compter ceux qui ont arrêté de chercher un emploi.»

À 50,1%, le taux d'emploi, c'est-à-dire le nombre de personnes occupées par rapport à la population de 15 ans et plus, a été en hausse pendant 10 ans, mais enregistre un léger recul cette année. Et il reste, et de loin, le plus faible du pays.

De grands projets

L'objectif avoué du gouvernement terre-neuvien, c'est d'avoir un grand chantier en route par année d'ici 2041, date à laquelle Terre-Neuve récupérera les 5000 mégawatts d'Upper Churchill, actuellement vendus à Hydro-Québec. «Il reste environ 30 ans avant 2041, disait récemment le premier ministre Danny Williams, ce qui est une date magique pour les gens de cette province.»

Après le champ pétrolier offshore Hibernia, il y aura donc Hebron, une expansion à White Rose et, plus important pour Elizabeth Dubeau et Hermance Paulin, la construction sur la côte ouest de Terre-Neuve, à Long Harbour, d'une usine de traitement du nickel de Vale Inco. Elles espèrent toutes deux que leur conjoint y trouvera du travail.

«Il ne veut pas couper ses liens avec l'entreprise pour laquelle il travaille (à Fort McMurray), explique Mme Dubeau, en parlant de son mari. L'entreprise pourrait avoir un contrat ici, avec Inco.»

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Sur la route

BU

Une bière fabriquée à partir d'eau d'iceberg dans la rue George. Selon la légende, c'est l'artère qui compte la plus grande concentration de débits de boissons en Amérique. Ça se comprend. Selon Statistique Canada, le seul poste budgétaire pour lequel les ménages terre-neuviens dépensent plus que les Canadiens, c'est... l'alcool!

ÉPATÉ

Par le fait que, en cinq vols au cours des dernières semaines, ma valise a toujours suivi. Serait-ce un des effets positifs du ralentissement du trafic aérien?

SENTI

Chez moi. En arrivant samedi, je tombe sur le Telegram, propriété de Transcontinental. On y parle de la fermeture temporaire d'une société papetière de Corner Brook qui appartient à Kruger. Deux coins de rue plus loin, il y a un restaurant Cora. Ne manquait plus que le Jean Coutu!

AJUSTÉ

Ma montre d'une heure et demie. Oui, ça fait!

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Terre-Neuve-et-Labrador en chiffres

 

TAUX DE CHÔMAGE

15,6%

PERTES D'EMPLOIS DEPUIS OCTOBRE 2008

-3200(-1,5%)

IMMOBILIER

Baisse des prix entre le sommet et le creux qui a suivi

Pas de correction

VENTES AU DÉTAIL

Juillet 2008 à juillet 2009

"3,2%

DÉFICIT PROVINCIAL PRÉVU

750 millions

3,2% du PIB

PRÉVISIONS DE CROISSANCE

PIB réel*

*Les prévisions de croissance varient d'une institution à l'autre et selon le moment de leur publication. Nous avons opté pour celles de la Banque Laurentienne, plus récentes, publiées au début du mois.

Source: Statistique Canada, Banque Laurentienne, Association canadienne de l'immeuble