Nostradamus est de retour! Cette fois, le futurologue ne prédit pas la fin de l'espèce humaine, seulement l'apocalypse... pour les avocats!

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Richard Susskind, 47 ans, ne craint pas la provocation. En 1996, cet avocat londonien devenu consultant auprès des grands cabinets internationaux avait choqué le monde juridique avec The Future of Law (Clarendon Press), un bouquin qui prédisait que le progrès technologique allait transformer à jamais la profession juridique.

 

Plusieurs de ses prédictions se sont réalisées - de l'utilisation du courriel par les avocats à la recherche juridique sur l'internet en passant par la consultation des bases de données électroniques -, des trucs qui paraissent banals en 2009, mais qui à l'époque le faisaient carrément passer pour un fou!

Avec The End of Lawyers? (Oxford University Press), qui vient de paraître, Susskind provoque encore davantage. Car il y prédit littéralement la disparition des avocats. Pas tous, précisons, mais ceux qui ne sauront pas s'adapter aux changements devront se recycler.

Dans cet univers où l'inertie est encore trop souvent préférée au changement, ce Nostradamus juridique suscite néanmoins la curiosité des législateurs et patrons de grands cabinets d'avocats. En tout cas assez pour que L'Association du Barreau canadien (ABC) retienne récemment ses services pour en faire son conseiller spécial. Son rôle? Présenter des nouvelles idées provocatrices sur l'avenir de la profession juridique au Canada. La Presse l'a joint à Londres sur son cellulaire.

Q Dans votre livre, vous affirmez quasiment que les avocats sont une espèce en voie d'extinction. Ce n'est pas un peu exagéré?

R Richard Susskind: Attention! Le titre de «The End of Lawyers?» comporte un point d'interrogation. Je dis simplement que les avocats auront de grands défis à relever au risque de disparaître.

Q C'est-à-dire?

R Au cours des 20 dernières années, les avocats ont largement profité de la croissance économique. Grâce aux nombreuses fusions et acquisitions gigantesques et à la multiplication des litiges, ils ont pu augmenter chaque année leurs taux horaires et leur rentabilité. Ce temps est révolu. Les entreprises, on le voit déjà, veulent et rechercheront à l'avenir des façons de réduire leurs coûts juridiques. Bref, la fête est terminée!

Q Que devront donc faire les avocats pour s'ajuster?

R D'abord s'interroger quel type de tâches ils effectuent aujourd'hui qui seront encore demandées demain. Ensuite, trouver des façons de faire plus efficaces, plus rapides et bien sûr, moins chères.

Q Vous avez des pistes à leur fournir?

R Quelques exemples. Primo, actuellement, dans la plupart des grands cabinets, la révision des documents de litige se fait encore par des avocats juniors (quelques années d'expérience). Or, c'est le genre de travail qui peut très bien se sous-traiter à des étudiants ou parajuristes indiens, car cela ne requiert pas une expertise de pointe. En fait, ça se fait déjà pour le septième du coût! Autre exemple: la production de documents financiers et bancaires, traditionnellement effectuée par les avocats. Or, il existe aujourd'hui des logiciels très sophistiqués qui permettent la production de ce type de documents pour une fraction du coût.

Q Vous dites que l'on se dirige vers une «commoditisation» des services juridiques. Que voulez-vous dire?

R J'entends tout service pour lequel jadis les avocats se faisaient payer et qui aujourd'hui est disponible en ligne gratuitement ou presque. Un exemple, il y a une vingtaine d'années, on appelait son avocat - qui nous envoyait une facture - pour connaître le taux de taxation corporative d'un pays étranger. Aujourd'hui, cette information est accessible grâce à Google, ce qui, bien évidemment, a des conséquences sur les avocats.

Q De quelle manière encore l'internet modifiera la profession?

R De plusieurs façons, mais je vous donne deux exemples. Je m'attends à ce que les grands donneurs d'ouvrages juridiques - des multinationales en particulier - se réunissent au sein de communautés en ligne privées afin de s'échanger de l'information juridique et de partager les coûts. Un genre de Facebook juridique! Cela serait une bonne idée, notamment en matière de réglementation et de gouvernance, où les lois diffèrent d'un pays à l'autre. Actuellement, les entreprises ont toutes leurs avocats pour les conseiller dans ce domaine, mais c'est le genre d'information que l'on peut partager sans risque avec d'autres. Il y a déjà des initiatives en ce sens, deux aux États-Unis et une au Royaume-Uni. L'autre innovation, les enchères pour des services juridiques, sorte de E-bay où l'on pourrait choisir et miser pour des avocats. Ça existe déjà en Angleterre, mais on en est qu'au tout début.

Q Dans ce nouvel environnement, comment les avocats pourront-ils se démarquer?

R En devenant des spécialistes dans ce que je j'appelle la «gestion du risque juridique». Demandez à n'importe quel chef de département juridique d'une grande entreprise et il ou elle vous répondra la même chose: ce qu'on veut avant tout est d'éviter les problèmes juridiques. Or, les avocats sont surtout des spécialistes en résolution de problèmes. Pour aider leurs clients, ils devront changer et devenir des pros du risque juridique. C'est un créneau prometteur et encore inexploité.

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