De mystérieux maux de tête frappent à répétition près de 1 million de Québécois. Pour traiter la migraine, de nouveaux médicaments et des cliniques spécialisées peuvent aider les victimes à «gérer» le problème. Mais le financement est difficile à mettre sur pied, particulièrement au Canada.

Pendant une demi-douzaine d'années, Élizabeth Leroux a tenté de mettre sur pied une clinique de la migraine au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM). L'an dernier, de guerre lasse, n'arrivant pas à avoir assez d'effectifs pour que la clinique fonctionne bien, elle a accepté d'aller fonder une clinique de la migraine à l'Université de Calgary.

« Au Canada, on a un gros problème pour le traitement de la migraine, le système public est à sec », dit Mme Leroux, qui a publié en 2015 le livre La migraine, au-delà du mal de tête. « Il y a des dizaines de cliniques aux États-Unis, il y en a en France, en Scandinavie et en Allemagne, mais ici, rien. Au Québec, il n'est pas possible de monter un modèle financier de clinique de la migraine. On ne peut rien facturer au niveau de l'éducation des patients et il y a des restrictions importantes pour les injections de médicaments faites par les infirmières. Dans les autres provinces, il est possible pour les patients d'avoir des injections en payant de 1 $ à 200 $ de leur poche, mais pas au Québec. »

La Presse a visité l'une des quelque 30 cliniques de la migraine qui existent aux États-Unis, le centre John R. Graham de l'hôpital Brigham & Women, fondé en 1970. Le centre compte une quinzaine de médecins, dont une demi-douzaine à temps plein, et son personnel médical et administratif compte une demi-douzaine de personnes supplémentaires.

À titre de comparaison, la Clinique de la migraine de Montréal, située dans la polyclinique Maisonneuve-Rosemont, sur le boulevard de l'Assomption, compte sept professionnels médicaux à temps plein, selon son directeur, Gregorio Zlotnik. La Clinique de la migraine du CHUM compte quant à elle quatre neurologues et une infirmière, tous à temps partiel, selon sa directrice, Heather Pim.

Un long processus

« Ici aussi, le financement des soins est difficile », indique Elizabeth Loder, directrice de la migraine au département de neurologie de Brigham & Women, rencontrée dans ses bureaux à Boston.

« La migraine est une maladie chronique, comme l'asthme. Il faut la contrôler, on ne peut pas la guérir. Le traitement approprié dépend de chaque patient et peut changer avec l'âge et les circonstances. »

« Les compagnies d'assurances médicales n'aiment pas ce type de soins à petits pas [incremental], les patients non plus. Il faut beaucoup de discussions pour convaincre le patient de ne pas se laisser séduire par un charlatan, pour qu'il s'astreigne à bien noter ce qu'il mange, ce qu'il fait, les événements de sa journée, les circonstances des crises de migraine, pour qu'on arrive à progressivement réduire la fréquence et la durée des crises, à l'aide de médicaments et surtout de changements des habitudes de vie, en reconnaissant les symptômes avant-coureurs et en prévenant les crises.

« Il faut en même temps ajuster les autres médicaments que prend le patient, il y a souvent de la comorbidité, d'autres maladies, parfois psychiatriques. Il y a aussi des migraines causées par un excès d'antidouleurs comme l'ibuprofène ou l'acétaminophène. Il est rare que nos patients puissent être pris en charge par un médecin de famille, et les psychiatres, souvent, ne les aiment pas beaucoup parce que ce sont des patients difficiles sans maladie psychiatrique grave. »

Différents traitements

Les patients qui fréquentent la clinique de la Dre Loder sont ceux que ne peut aider la simple prise de médicaments antimigraines apparus voilà 15 ans, les triptans. « On parle de gens qui ne peuvent pas avoir d'enfants, pas garder un travail parce qu'ils sont terrassés plusieurs fois par semaine. »

Les triptans, qui aident entre 60 et 70 % des patients, interrompent le lien entre deux régions du cerveau : le noyau trigéminé, qui serait le chef d'orchestre de la migraine, et une région où sont émises des molécules appelées « peptides reliés au gène de la calcitonine » (CGRP), qui causent la douleur en irritant les nerfs sensoriels. Selon le Dr Pim, du CHUM, il y a peu d'effets secondaires. Il existe une demi-douzaine de triptans sur le marché. Un autre type de médicaments, un anticorps qui inhibe l'action du peptide CGRP, est en train d'être testé et suscite beaucoup d'espoirs, selon le Dr Pim. « Dans quelques rares cas, il y a des chirurgies qui sont nécessaires », précise le Dr Pim.

« Même si les premiers résultats ne permettent pas d'envisager une révolution, ces nouveaux médicaments vont faciliter nos essais et erreurs avec les patients avec une migraine difficile à contrôler », dit Paul Rizzoli, directeur clinique du centre John R. Graham à Boston. « Parfois, nous devons hospitaliser les patients ayant des migraines particulièrement fréquentes pour voir ce qui marche ou ne marche pas, ajuster les doses des différents médicaments. C'est extrêmement coûteux. Tout ce qui peut accélérer le processus est le bienvenu. »

Élizabeth Leroux, ancienne directrice de la clinique de la migraine du CHUM qui pratique maintenant en Alberta, a elle-même souffert de la migraine. « Je suis sensible au whisky, au vin rouge et à la nourriture chinoise, mais il y a aussi des déclencheurs hormonaux ou émotionnels. Avec les patients, il faut patiemment essayer toutes les possibilités, les problèmes de sommeil, l'alimentation, la posture cervicale. Certains patients sont sensibles aux changements de pression atmosphérique, on voit plus souvent ça à Calgary.

Plusieurs facteurs peuvent coexister: le froid cause une contraction musculaire, le chaud vasodilate, le smog peut être irritant. Ce sont des baromètres sur pattes, il y a même une application pour les aider, Blisly. Le plus compliqué, c'est l'aspect psychiatrique. La psychothérapie aide parfois, mais ça coûte cher. Et les psychiatres sont débordés, ils ne peuvent pas voir des cas compliqués mais qui n'ont pas une maladie bipolaire, psychotique ou dépressive majeure. J'ai fini par apprendre moi-même à gérer la médication psychiatrique. »

La Clinique de la migraine de Montréal, fondée en 1986 par un neurologue qui avait étudié à la clinique Mayo, au Texas, mais qui est mort de manière prématurée à la fin des années 90, souffre de la « bureaucratie » grandissante, selon son directeur Gregorio Zlotnik. « Il y a beaucoup de choses qui nous limitent, des injections, des interventions mineures. Nous devons faire beaucoup de traitements à l'externe, c'est plus compliqué pour les patients et c'est plus difficile d'avoir les rendez-vous rapidement pour accélérer la mise au point du traitement. » La clinique du Dr Zlotnik voit environ 500 nouveaux cas par an, contre 2200 pour le centre John R. Graham à Boston.