L'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Unité permanente anticorruption (UPAC) refusent de prendre le blâme pour l'imbroglio entourant l'attribution d'un contrat de fourniture d'asphalte à Montréal.

D'autant plus que ce contrat de 5,2 millions, que le conseil municipal refuse pour l'instant d'attribuer puisque certains des sept soumissionnaires font l'objet d'allégations de collusion et de corruption, n'est pas assujetti à la nouvelle Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics (projet de loi 1), rétorque l'AMF, contrairement à ce qu'on soutient à Montréal.

En d'autres termes, l'administration Applebaum n'aura qu'elle à blâmer si aucun nid-de-poule n'est colmaté à partir du 15 avril.

«Nous ne serons pas les nouveaux gérants de la Ville, c'est plutôt à elle d'assumer son leadership. Nous ne l'empêcherons jamais de faire son remplissage de trous. Ces contrats d'asphalte ne sont même pas soumis à la nouvelle loi», a affirmé hier à La Presse Sylvain Théberge, responsable des communications de l'AMF.

«On ne peut faire des vérifications que sur les dossiers que l'on reçoit», a ajouté Anne-Frédérick Laurence, au nom de l'UPAC.

Mais si Montréal décide tout de même de soumettre cette semaine, en fonction du résultat de son controversé sondage, le nom des sept entreprises retenues en espérant avoir le feu vert avant le 15 avril pour sa campagne printanière de colmatage des nids-de-poule, l'AMF prévient déjà qu'il est hors de question de bâcler ses vérifications. «La loi 1 est une loi importante, nous n'avons pas le droit à l'erreur», a souligné Sylvain Théberge.

Au cabinet du maire Applebaum, on persiste et signe: la loi permet à Montréal de soumettre tous les types de contrats qu'elle juge délicats. «On pourrait même y mettre des contrats d'uniformes du Service de police de la Ville de Montréal», illustre un proche du maire.

La Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics, adoptée en décembre 2012, prévoit que tous les contrats publics de 40 millions ou plus doivent obtenir un certificat d'intégrité de la part de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Pour Montréal, ce sont les dossiers de 100 000$ et plus qui sont visés.

La moitié des contrats soumis

L'organisme est soutenu par les enquêteurs, analystes et vérificateurs de l'UPAC, qui fouillent dans les dossiers des entreprises soumissionnaires et scrutent le profil de leurs administrateurs, actionnaires et dirigeants pour s'assurer notamment qu'ils ne sont pas liés à des groupes criminels.

Pour chacun des contrats, la vérification porte sur les deux plus bas soumissionnaires; ainsi, le second peut être choisi si celui qui a emporté le contrat est jugé non conforme.

À ce jour, selon l'AMF, Montréal n'a soumis que 26 contrats à éplucher (sur un potentiel de 50) - donc 52 entreprises à évaluer -, en presque totalité des contrats de conduites d'eau et d'égouts.

Hier matin, la chef de Vision Montréal, Louise Harel, s'est plainte encore une fois de la lenteur du processus de certification de l'AMF, qui n'a toujours pas approuvé une seule entreprise pour un contrat de Montréal «depuis trois mois», soutient-elle. «Les seuls contrats certifiés sont liés à l'amphithéâtre de Québec [ADF et Pomerleau]», a-t-elle déploré.

L'AMF réplique que ces accusations ne «reflètent pas la réalité». Parmi les 25 dossiers reçus, 13 sont parvenus à l'AMF pendant la deuxième quinzaine de février, et 11 depuis le 1er mars. «Nous sommes encore en analyse, les premiers résultats ne devraient pas tarder, mais on ne bâclera pas», a répété Sylvain Théberge. Il affirme par ailleurs que la certification de deux entreprises à Québec n'a «aucun rapport avec les protestations du maire Labeaume», qui avait exprimé sans retenue son impatience.

Porte de sortie «illégale»

Richard Bergeron a de son côté proposé une porte de sortie: laisser le soin aux 19 arrondissements et à la ville centre de donner, sans appel d'offres, un contrat de fourniture d'asphalte de moins de 25 000$, comme le permet théoriquement la loi. «On a un problème à court terme, c'est ce printemps qu'il faut le régler. Où en sera-t-on en août? On verra en août. C'est une manière très aisée, on permet aux unités d'affaires de contracter de gré à gré, et il n'y a plus ce côté burlesque avec ce prétendu sondage.»

Ce que propose Richard Bergeron est «un fractionnement illégal de contrats», réplique la chef de l'opposition, Louise Harel. «C'est une solution simpliste qui fait appel à la pensée magique, a-t-elle martelé en point de presse. On ne peut couvrir les 5000 km de voies à Montréal de cette manière.» Le maire Applebaum a également soutenu que la suggestion de M. Bergeron était illégale. «On va attendre de voir ce que dit notre sondage, et le dossier va être retourné au comité exécutif.»