L'Assemblée nationale tiendra une séance extraordinaire lundi pour adopter une loi spéciale pour forcer le retour au travail des 450 procureurs de la Couronne ainsi que des avocats et notaires du gouvernement du Québec.

Le premier ministre Jean Charest a confirmé la décision de Québec en demandant par lettre samedi soir au president de l'Assemblée nationale Yvon Vallières de convoquer les députés pour 9 h lundi. Cette décision est tombée à l'issue d'une rencontre du Conseil des ministres tenue samedi après-midi.

Cette décision fait suite à la rupture des négociations samedi entre Québec et ses procureurs.

Le gouvernement offrait des hausses salariales de 22% sur 5 ans. Les procureurs demandaient une augmentation de 40% pour rattraper la moyenne canadienne. Ils gagnent actuellement de 40 000 à 100 000 $ par année.

En entrevue à La Presse Canadienne samedi soir, le président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCP), Christian Leblanc, a réclamé l'intervention de Jean Charest dans le dossier, en lieu et place de la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne.

«On interpelle le premier ministre. (...) D'abord, a annoncé M. Leblanc, il n'est plus question que l'on parle à Michelle Courchesne. Elle a épuisé nos indulgences, elle a épuisé notre patience et surtout, notre confiance», a précisé le porte-parole.

«Je pense que la situation est suffisamment grave pour que Jean Charest se comporte comme un homme d'État et qu'il fasse en sorte que les problèmes de la Couronne soient réglés d'une manière durable», a ajouté M. Leblanc, samedi soir.

Par ailleurs, devant la tournure des événements, le président de l'APPCP a confié que des collègues l'avaient assuré, samedi après-midi, qu'ils démissionneraient si une loi spéciale était adoptée.

Lors d'une entrevue avec La Presse Canadienne, samedi matin, Mme Courchesne avait répété que les demandes des procureurs étaient trop imposantes pour respecter la capacité de payer des citoyens en avançant que l'Association campait sur ses positions sans négocier.

«Il y avait un certain nombre d'éléments intéressants sur la table et nous aurions tellement voulu pouvoir en discuter avec les procureurs. Mais jamais ils n'ont accepté de discuter de leurs conditions de travail», a souligné Mme Courchesne.

De plus, comme elle le martèle depuis le début de la grève, le Conseil du trésor ne peut accéder aux demandes salariales des procureurs par souci d'équité avec les autres travailleurs de la fonction publique, qui se sont entendus avec le gouvernement l'été dernier.

Les procureurs demandent un rattrapage salarial de 40 pour cent, arguant qu'ils sont de loin les plus mal payés au Canada et que cela affaiblit la Couronne québécoise.

Échange de communiqués

Peu avant que Jean Charest ne fasse part de son intention, le bureau de Mme Courchesne avait publié un communiqué dans lequel la présidente du Conseil du Trésor déplorait l'attitude des procureurs de la Couronne et des juristes lors des négociations.

«Nous n'avons pourtant ménagé aucun effort pour nous entendre avec les juristes et les procureurs qui ont malgré tout poursuivi une grève qui porte atteinte à l'intérêt public. Il est évident que le gouvernement prendra ses responsabilités», avait déclaré Mme Courchesne.

La réaction de l'APPCP n'avait pas pas tardé. Moins d'une heure plus tard, l'Association publiait à son tour un communiqué dans lequel elle accusait Mme Courchesne d'avoir fait des déclarations «mensongères» aux médias.

En somme, dans les deux camps, on s'accuse mutuellement de ne pas être prêts à négocier de bonne foi après que le «blitz» de négociations des derniers jours n'ait pas donné les résultats escomptés.

Mais ultimement, ce sont les procureurs et les juristes qui ont pris la décision de déclencher une grève, a fait valoir l'attaché de presse de Jean Charest, Hugo D'Amours.

«Ce sont eux qui ont choisi de quitter la table des négociations et qui ont opté pour la grève, qui a déjà causé des délais dans le système judiciaire», a-t-il dit en entrevue avec La Presse Canadienne, samedi soir.

Du côté de l'APPCP, on dénonce les offres présentées vendredi par le Conseil du trésor, qui seraient de moitié inférieures à celles déposées avant la grève.

M. Leblanc a accusé le gouvernement d'avoir annoncé un blitz de négociations, qui n'aura duré que 20 minutes, selon lui, simplement pour détourner l'attention médiatique.

«C'est là un acte supplémentaire de cette pièce de théâtre que joue le gouvernement et pour lequel les victimes, les témoins et la population du Québec paient le prix actuellement.»

Plus nuancée, l'Association des juristes de l'État a tout de même annoncé la rupture des négociations à la suite du rejet par le gouvernement, samedi matin, des dernières propositions syndicales.

Leur président, Marc Lajoie, gardait espoir de conclure une entente, ajoutant qu'un contrat imposé est inconcevable dans la mesure où la relation de confiance nécessaire entre les juristes et leur client, le gouvernement, serait émaillée.

«En nous forçant à retourner au travail (...), on nous oblige à violer notre code de déontologie. Comment pourrons-nous, quand on va retourner au travail avec une loi spéciale, avoir cette relation de confiance mutuelle? (...) Nous sommes condamnés à nous entendre.»

Michelle Courchesne a expliqué que l'offre des juristes contenait également des demandes inacceptables et que ceux-ci semblaient vouloir être solidaires de leurs confrères procureurs en poursuivant la grève jusqu'au bout.

«J'avais beaucoup d'espoir. Je sentais que les juristes avaient envie de discuter. Mais ils ont pris un engagement envers les procureurs (...) et je crois qu'ils se sont sentis liés.»

Avec La Presse Canadienne