Les Québécois sont massivement désabusés et expriment un désir de changement collectif. Ce sentiment est légèrement plus prononcé chez les sympathisants caquistes que chez les libéraux. « Il y a quelque chose qui se passe au Québec et c'est généralisé. Mais c'est plus francophone », note Sébastien Dallaire, vice-président d'Ipsos, surpris d'observer un Québec si monolithique à travers les résultats du sondage mené pour La Presse.

Les Québécois sondés sont presque unanimes. Leur mécontentement envers la classe politique est réel et ils ne sont que très peu divisés sur la plupart des grands enjeux. Ils décrivent un Québec figé depuis les trois dernières décennies, en déclin et mal préparé aux défis à venir, particulièrement en ce qui a trait à l'accès aux soins de santé et au vieillissement de la population.

Parmi les répondants, 63 % pensent d'ailleurs que la situation s'est détériorée depuis l'élection de Philippe Couillard. Et leur revenu ne semble pas les satisfaire puisque près de la moitié des Québécois (47 %) affirment que leur revenu n'a pas augmenté depuis plusieurs années. Parmi les Québécois sur le marché du travail, cette proportion grimpe même à 61 %.

« Les candidats vont devoir jouer dans le même carré de sable. »

- Jean-Herman Guay, politologue

« Sur plusieurs questions, on a une forme d'homogénéité sociale. Mais on observe quand même un léger alignement gauche/droite selon les intentions de vote. Mais ça reste des répondants globalement inquiets, à des degrés différents », explique le politologue Jean-Herman Guay.

La confiance des Québécois envers les politiciens est au plus bas (18 %). Et ils ne croient pas non plus que la commission Charbonneau ait réussi à résoudre les problèmes de corruption dans le financement des partis politiques au Québec (83 %). Pas moins de 81 % d'entre eux pensent même qu'il est temps de complètement transformer le système de partis actuel au Québec.

Jean-Herman Guay observe à travers les résultats du sondage une véritable remise en question d'un modèle québécois traditionnel et un fort scepticisme envers l'État et la classe politique. Cela n'est pas sans lui rappeler ce qui a déferlé sur l'Europe et les États-Unis au cours des dernières années. « Je n'ai jamais vu un taux de confiance aussi bas envers les politiciens au Québec. Les gens ont plus confiance envers les scientifiques ou les groupes environnementaux et regardent les politiciens de manière très négative. Pourtant, ce sont les seuls que les citoyens choisissent ! observe le professeur à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke. Ce cynisme est paradoxal, car au Québec, on est en situation de plein emploi. On est loin de ce qui s'est passé en Grèce ou en Italie. »

Cette morosité envers la classe politique devrait également exacerber la volatilité du vote au moment des élections. « On vote pour le parti qu'on déteste le moins. L'attachement partisan est beaucoup moins fort. Ce sont dans les degrés de méfiance que les partis jouent », précise M. Guay.

En compilant les variables du sondage, le politologue a effectué une analyse des correspondances multiples qui a permis de déterminer les valeurs partagées par les répondants et de déterminer où se situent les partis par rapport à celles-ci.

« La Coalition avenir Québec a sa propre zone, comme si elle allait chercher beaucoup du mécontentement actuel et de la morosité. »

- Jean-Herman Guay

Elle se trouve proche des indécis qui sont au centre, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour François Legault, et une très mauvaise pour le Parti libéral qui se retrouve dans son coin, isolé des autres. Le Parti québécois et Québec solidaire vont sans surprise chercher la même clientèle électorale. Ils abordent les mêmes thèmes, touchent les mêmes sensibilités », conclut Jean-Herman Guay.

DES MILLÉNIAUX UN PEU PLUS OPTIMISTES

Les jeunes de 18 à 34 ans sont tout aussi d'accord que les répondants plus âgés sur le fait que le Québec est figé et en déclin. Ils veulent que le Québec change, mais semblent moins frustrés. Ils sont notamment plus optimistes quant à leurs perspectives d'avenir et à celles de leur famille, mais plutôt semblables aux autres groupes d'âge quant au positionnement du Québec face à l'avenir. « Les jeunes de 18-34 ans sont plus optimistes dans la plupart des domaines, avec des écarts allant de 4 à 13 points de pourcentage selon les sujets. Fait intéressant, les 18-34 ans (46 %) font en revanche moins confiance aux médias d'information que les membres des autres groupes d'âge », précise le vice-président d'Ipsos.

PAS DE « MYSTÈRE QUÉBEC »

« On parle toujours du "mystère Québec", de la différence entre Montréal et le reste de la province, mais dans ce sondage, elle n'est pas si marquée », précise Sébastien Dallaire. La région de Québec ressort particulièrement dans la frustration généralisée qui caractérise l'ensemble de la province. « Les gens de la région de Québec sont un peu plus frustrés sur certains enjeux, font un peu moins confiance. Ils veulent plus d'audace et d'entrepreneuriat dans le Québec de leurs rêves. Les gens de Québec sont plus susceptibles de dire que le Québec est sclérosé, qu'on a besoin de changer le système, faire bouger les choses », ajoute-t-il. La région de Québec se distingue tout de même sur certains enjeux et les intentions de vote y demeurent très différentes. « Seulement, les différences sont souvent une question de degré et non de points de vue diamétralement opposés », note le vice-président d'Ipsos. Montréal se montre pour sa part un peu plus positif sur la plupart des enjeux. « C'est en grande partie lié au profil démographique, puisque Montréal est la région où il y a le moins de francophones, qui sont les plus mécontents dans la province. C'est aussi à Montréal que se trouve la plus grande proportion d'électeurs libéraux, qui sont aussi les plus satisfaits ou, du moins, les moins mécontents de manière générale. »