Un milliard pour des baisses d'impôt, 100 $ pour les rentrées scolaires et des mesures timides pour lutter contre la pauvreté : le gouvernement Couillard a mis sur la table sa proposition aux électeurs, à un an des élections. Tour d'horizon.

Après les compressions, les «bonnes nouvelles»

« TRÈS BONNES NOUVELLES »



« Les nouvelles sont bonnes, très bonnes », a dit spontanément le ministre des Finances, Carlos Leitão, en dévoilant la mise à jour des finances publiques hier. Mini-budget, puisqu'il contient des mesures fiscales : le gouvernement diminue de 16 à 15 % le taux minimal d'imposition, une réduction de 278 $ par année pour 2,2 millions de salariés qui gagnent plus de 42 700 $ par année, une décision qui coûtera environ 970 millions par année au gouvernement. 

DES COMPRESSIONS JUSTIFIÉES ?



Le ministre a eu du mal, toutefois, à justifier trois années de compressions des dépenses dans les secteurs névralgiques de l'éducation et de la santé. C'est ce qu'il fallait faire à ce moment pour dégager une marge de manoeuvre, a souligné le ministre Leitão, qui se défend de jouer les pères Noël. Pour lui, en 2016 et en 2017, « c'est la bonne tenue de l'économie qui a permis de consolider les marges de manoeuvre ».

BEAUCOUP DE « SOUFFRANCE », DIT LE PQ



« Philippe Couillard prend les Québécois pour des imbéciles », a répliqué, lapidaire, Nicolas Marceau pour le Parti québécois (PQ). Les contribuables ont payé en manque de services, « en souffrance », les baisses d'impôt annoncées, a-t-il lancé. « Les Québécois n'ont pas de poignée dans le dos, on redonne aujourd'hui ce qu'on leur a enlevé depuis quatre ans », a renchéri le critique de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Bonnardel.

RÉDUCTION D'IMPÔT



Pour un célibataire qui gagne plus de 44 000 $, la baisse d'impôt annoncée hier sera de 278 $ par année. Pour quelqu'un qui est moins imposé et gagne 25 000 $, la baisse sera de 73 $. Avec les baisses déjà annoncées au budget du printemps dernier et la disparition de la taxe santé, ces contribuables bénéficieront de réductions d'impôt respectives de 500 $ et 227 $. Les nouveaux barèmes s'appliqueront pour l'année 2017, les contribuables constateront la baisse en faisant leur déclaration de revenus le printemps prochain. Au total, avec les mesures annoncées au printemps dernier, le fardeau fiscal aura diminué de 2,3 milliards en 2017.

100 $ PAR ENFANT



Québec accordera 100 $ par enfant d'âge scolaire - de 4 à 16 ans - à chaque mois de juillet pour aider les familles au moment de la rentrée des classes. La mesure rétroactive suscitera un premier versement aux parents en janvier prochain - 85 % profitent de paiements directs pour l'allocation aux enfants. La somme ne sera pas imposable et sera indexée à compter de 2019. Environ 700 000 ménages profiteront de la mesure, qui coûtera 112 millions à l'Éat en 2018-2019.

PAUVRETÉ : L'EFFORT PLUS TARD



Le budget du printemps promettait de sortir de la pauvreté 100 000 Québécois gagnant moins de 18 000 $. L'opération, une troisième offensive contre la pauvreté, s'est enclenchée, mais progressera bien lentement au début. Au bout de six ans, 2,6 milliards de plus seront injectés dans des mesures d'incitation au travail, de bonification des faibles revenus et d'aide aux bénéficiaires inaptes. Pour la première année complète, on injectera 253 millions, pour augmenter graduellement jusqu'à 700 millions en 2022-2023. Pour 2018-2019, 190 millions iront à la bonification de l'aide sociale pour favoriser l'employabilité et 13 millions iront en incitation aux petits salariés. 

500 PROFESSIONNELS SCOLAIRES



Québec injectera 337 millions de plus, sur six ans, dans le réseau scolaire. Les efforts seront concentrés sur les plus jeunes, de 0 à 8 ans. On compte embaucher 500 spécialistes - orthophonistes et orthopédagogues - de plus au primaire dès septembre 2018. Pour l'enseignement supérieur, on injecte 107 millions de plus afin d'embaucher 120 personnes supplémentaires. Ces mesures, insiste-t-on, s'ajoutent aux 3,4 milliards annoncés au dernier budget pour embaucher 5000 personnes vouées aux services directs aux élèves ; 1500 ont déjà été embauchées pour la rentrée de 2017. La croissance du budget dans le volet éducation-culture sera de 4,6 % cette année, mais diminuera par la suite. 

PRÉVENTION LIÉE AU CANNABIS



Québec consacrera 25 millions chaque année à la prévention liée à la consommation de cannabis. Pour les six prochaines années, 105 millions de plus iront chaque année au budget de la santé, dont les dépenses de programmes augmenteront de 4,2 % pour l'année en cours. Comme pour l'éducation, la croissance du budget diminuera rapidement pour les deux prochaines années. En ce qui concerne le salaire des médecins, les négociations sont toujours en cours avec les spécialistes, mais Québec réitère son engagement de limiter à 3 % la croissance globale de l'enveloppe de la rémunération des médecins.

CHÔMAGE



En juillet dernier, le taux de chômage au Québec a atteint un creux historique, à 5,8 % - il est monté depuis à 6,1 %. Depuis mai 2014, à l'arrivée du gouvernement Couillard, 201 800 emplois ont été créés, indique la mise à jour économique. L'objectif de créer 250 000 emplois en cinq ans paraît à portée de main. On prévoit qu'en 2018, 41 000 emplois devraient s'ajouter, et le Québec devra affronter des pénuries de main-d'oeuvre dans certaines régions. En 2017, le Québec est la source de 28 % des emplois créés au Canada, devancé à ce chapitre seulement par l'Ontario, avec 36 %.

PLAN RÉVISÉ



Le plan économique déposé par M. Leitão le printemps dernier a été revu ; à chaque ligne, on constate des améliorations. Les revenus autonomes du gouvernement - taxes et impôts - sont de 614 millions supérieurs aux prévisions du budget. Les transferts fédéraux sont de 319 millions de moins que prévu, et les recettes des sociétés commerciales ont dépassé de 346 millions les prévisions. Sur le plan des dépenses, les programmes ont dépensé 376 millions de moins que prévu. Les bas taux d'intérêt qui perdurent ont généré une économie de 160 millions au service de la dette par rapport aux prévisions - Québec doit tout de même injecter 9,5 milliards par année pour payer l'intérêt sur la dette publique.

INDICES POSITIFS



Croissance des dépenses de consommation (2,4 % en 2018), croissance des revenus disponibles et des salaires plus rapide au Québec qu'au Canada, reprise des investissements des entreprises et croissance soutenue de la construction résidentielle de même que des exportations : tous les voyants sont au vert sur le tableau de bord du ministre Leitão. La croissance économique de 2017 sera de 2,6 %, presque 1 % de plus que ne le prévoyait Québec au budget du printemps dernier.

«On a assisté au déclenchement de la campagne électorale»

Les partis de l'opposition ont eu des réactions diamétralement opposées à la mise à jour économique présentée hier par Québec, mais ils s'entendent tous sur une chose : la campagne électorale, avec le scrutin prévu en octobre prochain, est officiellement lancée.

« On a assisté au déclenchement de la campagne électorale libérale », a affirmé en point de presse le député péquiste Nicolas Marceau, critique de l'opposition officielle en matière de finances.

« Philippe Couillard prend véritablement les Québécois pour des idiots. Il insulte [leur] intelligence. [...] Les investissements qui sont annoncés dans nos services publics ne sont pas à la hauteur des dégâts qui ont été causés ces dernières années. [Ce] sont des services à nos enfants, des soins à nos malades qui n'ont pas été donnés et qui ont des conséquences à très long terme », a-t-il ajouté.

Pour le Parti québécois (PQ), « le gouvernement a choisi d'utiliser la marge de manoeuvre qu'il s'est constituée par la souffrance des Québécois [...] pour réduire l'impôt sur le revenu des particuliers », ce que déplore également Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire (QS).

« Ce qu'on apprend aujourd'hui, c'est que la récompense pour trois ans de coupures aux services à la population, c'est 278 $ de baisse d'impôt. Ça, c'est à peu près 11 $ par chèque de paie. La question que les gens doivent se poser en analysant le minibudget qui a été déposé, c'est : est-ce que ça vaut la peine ? », a-t-il dit en point de presse à l'Assemblée nationale.

«Il était temps», dit la CAQ

Pour la Coalition avenir Québec (CAQ), qui promettait également de réduire de 1000 $ le fardeau fiscal des Québécois si elle formait le prochain gouvernement, les mesures annoncées hier par Carlos Leitão auraient pu être mises en place bien avant.

« Les Québécois n'ont pas une poignée dans le dos. Je dirais aujourd'hui [aux libéraux] : il était temps ! On redonne aujourd'hui le 1000 $ en baisse d'impôt qu'on a pris dans leurs poches dans les dernières années. On leur redonne 1000 $ parce que, si ça n'avait pas été de la CAQ, [si] ça n'avait pas été des sondages, si ça n'avait pas été de leur défaite dans Louis-Hébert, [ils ne l'auraient pas fait] », estime François Bonnardel, leader parlementaire de la CAQ.

Craint-il que son parti puisse perdre des plumes au cours des prochains mois, alors que le gouvernement reprend certaines de ses mesures ?

« La CAQ a toujours été un panier d'idées depuis les cinq dernières années. Bien, on va continuer de travailler pour faire les propositions qui vont être intéressantes aux Québécois d'ici la prochaine élection », a répondu M. Bonnardel.

« Mon indice de cynisme est à 100 %. Je pense que les Québécois ne sont pas dupes, ils n'ont pas une poignée dans le dos. Ils voient très bien aujourd'hui que les libéraux jouent à peu près leur dernière carte avant le budget de mars prochain », a-t-il ajouté, affirmant à son tour que la campagne électorale était lancée.

- Hugo Pilon-Larose, La Presse

Ce qu'ils en disent

« Nous saluons le maintien de l'équilibre budgétaire ainsi que l'allègement du fardeau fiscal des contribuables, qui permettra d'augmenter le revenu disponible des ménages québécois. Même si l'économie du Québec se porte bien, il faudra demeurer vigilant, adopter une approche équilibrée et être préparé à affronter les incertitudes économiques. »

- Stéphane Forget, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec

« Le gouvernement du Québec démontre que la rigueur budgétaire est un préalable au progrès social et économique. [...] Par ailleurs, nous appuyons le plan de lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales. C'est une priorité, car une plus grande cohésion sociale est source de progrès et de prospérité. »

- Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec (CPQ)

« La mise à jour budgétaire et ses avancées fiscales confirment que le Québec opère sur des bases économiques solides. Les chefs de PME et les contribuables de la classe moyenne accueilleront certainement avec satisfaction la baisse de l'impôt des particuliers, ainsi que les réinvestissements en santé, en éducation et en développement économique régional. »

- Martine Hébert, vice-présidente principale pour le Québec de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI)

« C'est choquant de la part de ce gouvernement qui a sabré sans retenue le financement des services publics et qui décide, à l'approche des élections, d'offrir des sommes dérisoires en échange de services publics dégradés. [...] Il n'y a pas de quoi se "péter les bretelles". Les Québécois et les Québécoises ne sont pas dupes. »

- Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

« Le ministre des Finances, Carlos Leitão, ne fait que présenter ce à quoi tout le monde s'attendait : des baisses d'impôt financées par de longues années d'austérité. [...] Cette mise à jour à saveur électorale n'entrevoit aucun réinvestissement dans l'expertise du secteur public, comme le demandait la commission Charbonneau. »

- Richard Perron, président de Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)

« Le gouvernement ne voit pas l'urgence d'agir pour lutter contre la pauvreté mais, à l'approche des élections, il voit l'urgence de faire des cadeaux électoraux en réduisant les impôts. Mais il s'agit de cadeaux empoisonnés parce que les baisses d'impôt d'aujourd'hui sont les déficits de demain. »

- Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté

- Propos recueillis par Martin Vallières, La Presse