À peine rendu public, le rapport du comité de revue des programmes dirigé par l'ex-ministre Lucienne Robillard paraît voué aux oubliettes. Joints par La Presse, les responsables des principaux ministères visés par le comité de sages ferment sans ménagement la porte.

Le comité estime avoir ciblé 2,2 milliards d'économies potentielles pour le gouvernement Couillard, dont plus de la moitié, soit 1,3 milliard, viendrait d'une autre ponction sur les transferts aux municipalités. Rappelant que sa commission sera «permanente», Mme Robillard remet à plus tard l'étude des secteurs de la santé et de l'éducation. «La revue des programmes s'impose pour redonner à l'État sa marge de manoeuvre. Nos recommandations sont guidées par l'urgence de redresser les finances publiques» et de freiner la croissance de la facture à payer comme intérêt sur la dette, qui atteint désormais un niveau «inacceptable» de 11 milliards par année, observe l'ex-ministre.

La commission «fait des recommandations, mais c'est le gouvernement élu qui décide», a souligné Philippe Couillard en marge d'un brunch partisan. Selon le député péquiste Alain Therrien, critique du Conseil du trésor, le gouvernement a organisé «une mascarade qui a coûté 3,8 millions aux Québécois», déposé un rapport «idéologique» pour faire semblant d'adopter une position plus conciliante. «Pour faire passer le gouvernement et M. Coiteux comme raisonnables, on a organisé cette pièce de théâtre», a lancé le péquiste. Claude Surprenant, de la Coalition avenir Québec, est du même avis: Québec a demandé ce rapport «pour le faire bien paraître».

Le rapport Robillard propose de réduire de 300 millions le programme de stabilisation des prix, une assurance pour les agriculteurs. Finalement, le comité a opté pour une solution «optimale» pour les tarifs des garderies - une contribution quotidienne de 35$ pour tous les parents qui, une fois qu'on a tenu compte de l'impôt provincial et fédéral, aurait été, pour les familles à faible revenu, plus avantageuse que l'avenue choisie par Québec la semaine dernière. Les mieux nantis auraient payé 114 millions, et le fédéral aurait versé 149 millions de plus en déductions.

Pour les municipalités, d'entrée de jeu, le ministre Pierre Moreau juge bien théorique la cible de 1,3 milliard d'économies avancée par le comité. Parmi les sommes visées, on trouve les transferts pour les compensations (en-lieu) de taxes et la facture des services offerts à Québec par les villes - «ce serait difficile de se rendre là». Des éléments sur le contrôle des dépenses peuvent être explorés, mais quand on suggère de ne remplacer qu'un départ sur deux, on ne pense pas aux petites municipalités qui n'ont qu'une poignée d'employés. La ponction de 300 millions que vient d'annoncer Québec, «c'est quelque chose de réaliste, on savait que les municipalités pouvaient l'absorber sans hausser les taxes ou réduire les services», ajoute le ministre des Affaires municipales. Le comité Robillard soutient que 1,3 milliard d'économies pourraient être faites sans hausse de taxes foncières, mais M. Moreau «ne croi[t] pas ça. C'est un peu fort».

Donner plus de leviers aux municipalités pour qu'elles puissent imposer leurs vues lors des négociations avec les employés n'est pas plus prometteur, selon lui. «La hausse rapide des dépenses n'est pas liée au salaire, beaucoup de villes n'ont pas de convention collective. Le déneigement, la voirie locale, la couverture incendie, la police, la mise aux normes sont des sources d'augmentation de dépenses», explique M. Moreau. Quant à la possibilité de conférer un droit de lock-out aux villes, il se garderait «une petite gêne avant de [se] rendre là».

Avare de commentaires, le ministre de l'Agriculture, Pierre Paradis, n'apporte clairement pas beaucoup de crédibilité au rapport du comité Robillard. Il fait écho au président de l'Union des producteurs agricoles, Marcel Groleau, qui observe que le comité s'est basé sur des chiffres dépassés sur les coûts de la Financière agricole - au lieu des 630 millions cités par le comité, il faudrait parler davantage de 475 millions si on tient compte d'une récente ronde de 125 millions de compressions au programme de stabilisation. «Les économistes ont raison, si on arrête de manger, cela va coûter moins cher... mais cela ne durera pas longtemps», a-t-il dit, puisque les produits étrangers coûteront rapidement plus cher aux consommateurs.

Le comité Robillard suggère, pour les services de garde, une proposition «optimale, pour aller chercher le maximum d'Ottawa». «Mais on a choisi de protéger les défavorisés. À 35$ par jour, il aurait fallu mettre tout un processus en place, ce que le politique a choisi, c'est une voie plus simple, pour que tout le monde s'y retrouve», explique Francine Charbonneau, ministre de la Famille, jointe par La Presse. Les familles à faible revenu n'auraient pas eu les liquidités nécessaires pour payer 35$ par jour. «Même pour la première semaine, on aurait mis en péril son budget. La commission Robillard avait un regard qui n'était pas politique. Le politique a pris une décision qui ressemble plus à ce que la communauté est capable de prendre», résume la ministre Charbonneau.

Des recommandations jugées ambitieuses

Services de garde: 35$ par jour

Le comité Robillard estime que sa proposition sur les tarifs de services de garde reste «optimale» même si, avec le rapport en main, le gouvernement Couillard a opté pour une solution bien différente. 

Le comité observe que, depuis 1997, le programme des garderies à tarif unique a puissamment contribué à la participation des Québécoises au marché du travail. Désormais, 77,6% des Québécoises travaillent, tandis qu'en Ontario et dans le reste du pays, 73% des femmes ont un emploi.

Mais le programme québécois a vu ses coûts augmenter rapidement: une croissance de 80% depuis 10 ans. À 5$ puis 7$, la contribution parentale est restée stable, mais pèse de moins en moins lourd dans le coût total. Les parents payaient 20% du prix de la place en 1997; ils déboursent actuellement 14% de la facture. Le manque de places fait que 35% des enfants de moins de 18 mois n'ont pas de place. Québec paie aussi 280 millions par année pour des places-jours qui n'ont pas été occupées.

À cause de la fiscalité, une augmentation importante du tarif quotidien avantagerait les parents et le gouvernement québécois. Un tarif à 35$ maximiserait les retombées - la déduction offerte par Ottawa serait plus importante si le tarif est élevé. En bonifiant de 75 à 80% le crédit d'impôt québécois pour frais de garde, les ménages dont les revenus sont de moins de 50 000$ paieraient moins cher qu'actuellement. Les familles monoparentales et les couples à deux revenus bénéficieraient aussi du nouveau régime jusqu'à 120 000$ de revenus.

Municipalités: repasser le chapeau?

Pour le comité Robillard, Québec pourrait récupérer jusqu'à 1,3 milliard en réduisant de nouveau ses transferts aux municipalités - une première ponction de 300 millions vient d'être annoncée. L'opération pourrait se faire sans hausse de taxes, estime l'ex-ministre Robillard. 

Les transferts aux villes augmentent de 8,2% en moyenne et les dépenses municipales grimpent de 5,8% par année; c'est presque le double des 3% de croissance des dépenses gouvernementales depuis cinq ans. Cette année et l'an prochain, Québec vise à ramener à 1,9 et à 1,3% la croissance de ses dépenses. «La croissance actuelle des dépenses des municipalités et des transferts du gouvernement n'est pas soutenable à terme», estime l'ex-ministre Robillard. Si elles diminuaient la croissance de leurs dépenses à 1,3%, les villes économiseraient 900 millions par année.

Les municipalités disposent aussi de surplus accumulés qui atteignent 1,4 milliard. La commission préconise «une réduction significative des transferts» et un encadrement pour que les municipalités contrôlent davantage leurs dépenses. Québec devrait examiner la possibilité de donner plus de pouvoirs aux villes dans le cadre des négociations avec les employés, qui gagnent en moyenne 38% de plus que les fonctionnaires provinciaux. 

Selon Suzanne Roy, présidente de l'Union des municipalités, le rapport d'hier ne tient pas la route. «C'est un rapport simpliste, on va pelleter dans la cour des municipalités 1,3 milliard, et elles n'auront qu'à tarifer. Or, c'est toujours le même citoyen en bout de ligne, observe la mairesse de Sainte-Julie. C'est de la pensée magique, j'ai été surprise par son manque de rigueur. On nous compare avec seulement l'Ontario. On a été catastrophés par ce rapport, et on espère que le gouvernement ne tiendra pas compte de ces recommandations», conclut-elle.

Agriculture: on faucherait 300 millions

Les agriculteurs québécois bénéficient de plus d'aide gouvernementale que partout ailleurs. Les programmes sont deux fois plus généreux que dans le reste du pays, et trois fois plus qu'aux États-Unis, observe la commission Robillard. Depuis10 ans, le revenu agricole net au Québec est plus élevé qu'au Canada, ainsi qu'au Manitoba, en Alberta et en Ontario. Les cultivateurs ne sont pas mal en point: le prix moyen d'une ferme québécoise - sans compter les équipements - atteint 1,2 million.

Les dépenses en agriculture totalisent 1 milliard, dont 90% passent en transferts aux agriculteurs. Pas moins de 630 millions sont aiguillés vers la Financière agricole, responsable des programmes d'assurance stabilisation pour chaque production. Le comité Robillard propose d'abolir ces programmes, une facture de 307 millions par année. En fait, le gouvernement assureur se trouve à payer les prestations des assurés, avec les distorsions qu'on peut prévoir. Dans certains secteurs, la générosité du programme a fait en sorte que les producteurs sont restés dans un créneau dont les prix étaient très bas. La stabilisation doit être «refondée sur les bases d'un véritable programme où les assurés assument la totalité de la prime de risque». Deux rapports, Pronovost et Saint-Pierre, recommandaient un coup de barre majeur, qui n'est jamais venu.

Pour Marcel Groleau, président de l'Union des producteurs agricoles, la commission a fait «une lecture simpliste des programmes sans s'occuper des retombées de l'agriculture». Il y a moins de céréales, plus de production animale, ce qui coûte plus cher, «parce qu'il y a plus de risques», souligne-t-il. «On induit le consommateur en erreur, on présente un portrait faussé des programmes d'assistance. Cela cause énormément de tort aux producteurs», résume-t-il. 

Transport par ambulance: les aînés devraient payer

Le gouvernement devrait modifier la tarification pour les transports en ambulance, des sommes qui n'ont pas été ajustées depuis 25 ans. Les dépenses de ce programme atteignent 513 millions, une augmentation moyenne de 7% depuis 1998. Cette facture est payée à 94% par le gouvernement.

Actuellement, les personnes de plus de 65 ans ne paient pas pour le transport ambulancier. Celles dont les revenus leur permettent de ne pas toucher au supplément de revenu garanti devraient payer pour le transport ambulancier, estime le comité. Toutes ces modifications entraîneraient une économie de 92 à 120 millions par année.

Québec devrait mettre un terme au financement des étudiants universitaires venus de l'étranger. Les ressortissants français, surtout, amènent 37% de la facture de 252 millions par année. 

Pas moins de 14 millions seraient économisés si on abolissait les crédits discrétionnaires accordés aux ministres - chacun des membres du gouvernement dispose d'une cagnotte pour subventionner, à son gré, des organisations ou des projets de son choix. Dans le même esprit, on devrait mettre fin aux programmes de «soutien à l'action bénévole», une petite caisse grâce à laquelle chaque député peut venir en aide à des oeuvres caritatives de sa circonscription. Chaque année, le gouvernement se trouve forcé, à cause de cette mesure, d'émettre 22 000 chèques de moins de 500$, relève le comité.

Finalement, on devrait y songer à deux fois avant de sabrer les subventions aux écoles privées. Ce geste entraînerait un déplacement de clientèle vers le public et augmenterait les coûts pour Québec. L'impact reste difficile à évaluer. La commission «met en garde le gouvernement contre une prise de décisions précipitées».