Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'est entretenue avec Amir Khadir, député de Québec solidaire.

1 Vous réclamez une enquête publique sur la conduite des policiers durant l'émeute de Victoriaville. Pourquoi ne pas demander une enquête sur l'ensemble des acteurs en cause?

Une enquête publique se pencherait sur l'ensemble des acteurs, à mon avis. On aurait d'ailleurs pu penser à une enquête sur l'ensemble des acteurs qui ont agi dans toutes les manifestations durant la grève, mais ça nous paraissait un peu trop large. Commençons donc par un endroit où les événements ont été particulièrement troublants, et cela rejaillira sur le reste. Le but d'une enquête n'est pas d'épingler des gens mais de tirer des conclusions pour aider les policiers à mieux remplir leur rôle de protection publique. Dans un conflit comme celui-ci, la répression n'est pas la solution.

2 Que pensez-vous de la conduite des policiers montréalais durant les manifestations depuis le début du conflit?

D'abord, je reconnais la difficulté à laquelle les forces policières font face. Je suis en contact assez régulier avec certains de leurs dirigeants et de leurs porte-parole. Je ne me gêne pas pour leur téléphoner pour leur faire des observations dans le but d'améliorer des choses, et j'espère qu'à certains moments, surtout dans les manifestations nocturnes, cela a aidé. Cela dit, je trouve que la police devrait faire attention à ne pas être instrumentalisée, et même à ne pas donner impression de l'être. C'est une question de perception et de paix sociale.

3 Êtes-vous en faveur de la désobéissance civile?

Oui. Celle de Martin Luther King. Ça ne veut pas dire que Québec solidaire l'est, mais moi, je viens d'une école où mes héros sont Luther King, Gandhi, Mandela... Dans les 50 dernières années, à un moment ou à un autre, le mouvement civique a dû transgresser la loi pour se faire entendre. Je parle d'un mouvement pacifique. À une autre époque, je vous aurais répondu autrement, mais à ce moment-ci, dans la société où j'agis, il n'y a de place pour aucune violence.

4 Vous n'écartez pas l'idée que des agents provocateurs aient pu participer à l'émeute de Victoriaville. Avez-vous reçu des informations en ce sens?

J'ai une formation scientifique et, en science, on n'écarte pas des hypothèses d'un revers de main parce qu'elles sont dérangeantes. On a déjà prouvé la présence de provocateurs mandatés par la police lors des manifestations de Montebello, par exemple. Ce sont des pratiques qui existent ici et ailleurs. Donc, pour écarter cette hypothèse, il faut l'invalider. Cela dit, je crois aussi qu'il y a de petits groupes qui agissent seuls et qui nuisent beaucoup à la cause étudiante.

5 Si vous étiez premier ministre du Québec, comment régleriez-vous le conflit actuel?

Je traiterais les étudiants de manière respectueuse sans tenter de les manipuler, de les intimider ou de les diviser. Le gouvernement ne ferait pas ça avec la chambre de commerce ou le patronat; il les traiterait avec égard et les inviterait à une table pour discuter. Ensuite, j'engagerais un dialogue sans condition, car les étudiants sont des acteurs sociaux importants qui dirigeront notre pays un jour. Enfin, je serais sincère.

6 Si vous étiez leader étudiant, que feriez-vous aujourd'hui pour tenter de régler le conflit?

J'accepterais le fait qu'on ne peut pas gagner sur toute la ligne, qu'il faut savoir choisir ses batailles. Je dis cela parce qu'il y a une lutte à l'intérieur de la CLASSE à propos des tactiques à employer lorsqu'on veut s'attaquer aux symboles du capitalisme. J'ai beaucoup de respect pour les étudiants, et je vois bien la violence des institutions à l'endroit de ceux qui doivent travailler en plus d'étudier. Cela dit, la bataille du mouvement étudiant doit porter sur la notion d'éducation et d'accessibilité. Son message doit être cohérent et ses tactiques unifiées afin de ne pas mettre en porte-à-faux une partie du mouvement contre l'autre.

7 Depuis le début du conflit, Québec solidaire appuie les étudiants. Comment expliquez-vous que cela ne se traduise pas en intentions de vote dans les sondages?

Dans la rue, dans les manifestations, il y a une frénésie pour nous de la part des étudiants. À la marche du 22 avril, ça nous a émus, Françoise et moi. Nous nous sommes posé des questions sur la méthodologie des sondages: comment on fait pour rejoindre ces jeunes-là? En même temps, je sais que c'est un biais de sélection de notre part. On va dans des milieux qui nous sont acquis. Je reçois beaucoup d'affection d'une partie de la population qui n'est pas toujours d'accord avec tout ce que je fais et ce que je dis, mais qui aime la liberté avec laquelle je parle. Ces gens-là ne sont toutefois pas persuadés que nous sommes capables d'assumer le pouvoir.

8 Vous vous dites en faveur de la gratuité scolaire. Comment serait-elle possible?

Il y a d'autres sources de financement qui ne demandent pas un rebrassage des cartes économiques. Un exemple: le gouvernement a aboli la taxe sur le capital des entreprises. Il faut la rétablir, car ces dernières n'ont pas besoin de ce cadeau. Cette mesure correspond à trois ou quatre lignes dans le budget, il suffit de les modifier et de rétablir cette taxe sur le capital financier et bancaire. On irait chercher des centaines de millions de dollars avec cette mesure.

9 Envisageriez-vous une alliance avec un autre parti pour battre le PLQ aux prochaines élections?

J'ai toujours été favorable à ce qu'on explore ces avenues mais, de son côté, le Parti québécois n'est pas prêt. En outre, dans nos rangs, les membres remettent en question l'idée de s'associer à un vieux parti épuisé qui a trempé dans la corruption et dans le financement sectoriel. Je n'accuse pas les députés péquistes actuels, je parle de l'appareil du parti.

10 Votre fille est très engagée dans le mouvement étudiant. Elle a participé à certains coups d'éclat. Comment conciliez-vous vos rôles de père et de politicien dans ce contexte?

Je suis très fier d'elle. Ma fille a été élevée par des parents très politisés et a côtoyé des grands-parents tout aussi politisés. J'ai connu ma femme parce que nos parents militaient dans le mouvement étudiant iranien, alors c'est naturel que ma fille soit impliquée, c'est le destin de la famille. Certains leaders étudiants sont passés chez nous, nous avons discuté. Je les admire, je les respecte, mais nous avons eu des prises de bec. Je n'abonde pas toujours dans leur sens.

TWITTER +1 de Maxime Hupé Labelle@MaxHupe

Est-ce que vous croyez honnêtement être plus utile comme politicien que comme médecin pour la société québécoise?

Je fais encore une demi-journée toutes les deux semaines et je ferai quelques semaines de garde durant l'été parce que j'aime mon métier et par mesure de sécurité, pour ne pas avoir à me compromettre sur le plan politique. Cela dit, je crois que lorsque d'autres responsabilités nous appellent, il faut répondre présent. Au fil de l'histoire, il y a eu des médecins qui ont agi sur le plan politique. On dit qu'une seule politique peut parfois être plus bénéfique que 1000 médecines.