La mission d'une semaine que vient de conclure Justin Trudeau en Inde, ponctuée de controverses et de malaises du début à la fin, se traduira par des retombées faméliques sur le plan économique, fait valoir un expert qui a suivi de près les pérégrinations du premier ministre du Canada.

« Vu les attentes du coté canadien, l'ampleur du battage médiatique, la durée et les coûts de ce voyage, je dois dire que c'est un échec », a tranché Vivek Dehejia, professeur au département d'économie de l'Université Carleton et spécialiste de l'Inde.

M. Dehejia, joint hier à Bombay (Mumbai), assiste à la mission de Justin Trudeau « sur les lignes de côté » depuis samedi dernier. Il souligne que la durée du voyage est extrêmement longue selon n'importe quel standard et que les retombées apparaissent très minces en matière d'investissements.

« Nous en sommes à l'avant dernier-jour du voyage [hier], et c'est le seul jour où quoi que ce soit d'officiel était prévu », a-t-il avancé.

« On peut se demander ce que Justin Trudeau a fait pendant tout le reste du voyage, qui semble avoir été en fin de compte une longue séance d'occasions photographiques avec sa famille et leurs beaux habits. »

66 ACCORDS

Justin Trudeau a rencontré hier le premier ministre indien Narendra Modi et le président Ram Nath Kovind - les entretiens les plus importants depuis le début de son périple. Plus tôt cette semaine, il a pris part à Bombay à une rencontre avec des dirigeants de grands groupes indiens, dont Tata Sons, Infosys, Mahindra Group of Companies et Jubilant Bhartia Group.

Son cabinet a annoncé la conclusion de 66 accords entre les deux pays, évalués à 1 milliard de dollars. Du lot, on compte des investissements projetés de 250 millions au Canada, qui devraient créer 5800 emplois s'ils se matérialisent. L'entreprise médicale Jubilant Life Sciences, par exemple, devrait investir 100 millions pour agrandir ses installations de Kirkland, dans l'Ouest-de-l'Île de Montréal.

D'autres sociétés indiennes ont annoncé leur intention de faire des investissements au Canada, comme des ouvertures d'usines ou de bureaux. Le cabinet du premier ministre n'a pas précisé comment seraient répartis les 150 autres millions d'investissements annoncés, ni où se trouveraient les 5800 emplois promis en sol canadien

Des investissements de 750 millions sont en parallèle prévus en Inde de la part de groupes canadiens. Du lot, on retrouve une injection de 480 millions de Brookfield pour l'achat d'un complexe de bureaux à Bombay.

« L'économie de l'Inde connaît l'une des croissances les plus rapides au monde, et ce pays offre des opportunités emballantes pour les entreprises canadiennes de toute taille », a fait valoir Justin Trudeau dans un communiqué.

DES DOUTES

Le professeur Vivek Dehejia doute fort que toutes les ententes annoncées se matérialiseront. Les accords confirmés atteignent tout au plus quelques centaines de millions, calcule-t-il.

« Ce genre de petits contrats n'a pas besoin d'une visite de huit jours du premier ministre. »

M. Dehejia déplore en outre les coûts importants encourus pour cette mission. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a indiqué, hier, que les montants dépensés seraient divulgués dans le dépôt des Comptes publics du Canada, plus tard en 2018. À titre de comparaison, une mission de deux jours de Justin Trudeau en France et en Allemagne en février 2017 a coûté 448 460 $, ce qui laisse présager une facture beaucoup plus élevée pour son voyage en Inde.

Ni le bureau du premier ministre, ni le ministère des Affaires étrangères n'ont divulgué de détails sur le prix global de cette mission.

« On peut imaginer que c'est très dispendieux : assurer les déplacements et la sécurité du premier ministre, de sa famille, de plusieurs ministres et de tout leur entourage pour un voyage de huit jours, a souligné le professeur Dehejia. Franchement, ce n'est pas tant le montant en dollars qui compte que l'image que ça envoie. On se retrouve au Canada avec des coupes de budget. À mon université, on a des salles de cours qui tombent en ruine. Quel genre de message cela envoie-t-il aux Canadiens ? »

Rencontre avec Modi

Justin Trudeau a rencontré son homologue Narendra Modi hier à New Dehli, à l'avant-dernier jour de sa mission en Inde. Les deux hommes ont annoncé un « éventail » de partenariats dans les domaines de l'éducation, de la sécurité, du développement durable, du commerce et de l'investissement, ainsi que de la santé et de l'autonomisation des femmes. Ils ont aussi annoncé leur décision « d'organiser un dialogue semi-officiel entre l'Inde et le Canada sur l'innovation, la croissance et la prospérité », rapporte le bureau du premier ministre dans un communiqué. Les discussions en vue d'un éventuel accord de libre-échange Canada-Inde n'ont pas connu de conclusion cette semaine.

« Bling bling et mauvais goût »

Parmi toutes les polémiques de la dernière semaine, les nombreux habits traditionnels indiens portés par Justin Trudeau et sa famille ont alimenté bon nombre de manchettes internationales. Si certains y voient un signe d'ouverture et de respect des cultures locales, le professeur Vivek Dehejia y voit plutôt une grossière exagération. « C'était une parade, c'était comme s'il se déplaçait d'un plateau de Bollywood à l'autre, a lancé ce spécialiste de la société indienne. Les gens réguliers ne s'habillent même pas comme ça à leur mariage en Inde. C'était très bling bling et de mauvais goût. En fait, c'est comme si un dignitaire venait au Canada et s'habillait comme une police montée un jour, comme un amérindien l'autre journée et comme un cowboy l'autre journée. C'est comme ça que ç'a été perçu ici. »