Alors que plusieurs le décrivent comme le candidat capable de maintenir l'unité au sein des troupes conservatrices en raison de son style conciliant, Andrew Scheer a les yeux fermement fixés sur un seul adversaire : Justin Trudeau.

Car s'il brigue la direction du Parti conservateur à l'âge de 37 ans, dit-il, c'est pour empêcher que l'actuel premier ministre libéral ne lègue à ses cinq jeunes enfants l'héritage que l'ancien premier ministre Pierre Trudeau a laissé à sa génération : un pays lourdement endetté, sans véritable boussole économique.

« Je veux être le chef du parti parce que je veux m'assurer que notre parti reste fidèle à ses principes conservateurs. Il y a d'autres candidats qui disent qu'on doit changer notre position sur la taxe sur le carbone ou sur d'autres sujets. Mais pour moi, nos politiques sont les bonnes, ce sont les meilleures pour le Canada. Nous avons besoin d'un chef qui peut exprimer nos valeurs de manière plus positive et de manière à trouver une plus grande résonance chez un plus grand nombre d'électeurs », affirme Andrew Scheer dans une entrevue accordée à La Presse.

« J'ai une autre motivation. J'ai cinq enfants. Je ne peux pas permettre à Justin Trudeau de faire à mes enfants ce que son père a fait à ma génération. C'est un message très, très fort que je veux communiquer à nos membres. Trudeau père a laissé une dette énorme à ma génération, sans compter la chicane constitutionnelle. Son approche était toujours Ottawa knows best. Il se mêlait des affaires provinciales. C'est une mauvaise approche pour la fédération. Et on voit que Justin Trudeau fait la même chose. Il veut gérer le pays de manière centralisatrice », ajoute-t-il du même souffle dans un très bon français.

En campagne électorale, rappelle M. Scheer, les libéraux ont promis que les déficits pour financer les investissements en infrastructures seraient « modestes », autour de 10 milliards de dollars, et que l'équilibre budgétaire serait rétabli au plus tard dans la quatrième année du mandat. Or, le déficit frise les 29 milliards de dollars et le gouvernement Trudeau demeure vague quant au retour à l'équilibre budgétaire.

« Je ne veux pas voir mes enfants payer la dette pour les dépenses d'aujourd'hui. »

- Andrew Scheer

Élu pour la première fois en 2004 à l'âge de 24 ans, M. Scheer s'est imposé à la Chambre des communes comme un député capable d'entendre les points de vue des autres sans regimber. Cela explique d'ailleurs pourquoi il a été élu par ses pairs en 2011 à titre de président de la Chambre des communes - l'arbitre de la joute parlementaire quotidienne entre le gouvernement et les partis de l'opposition. 

Il est ainsi devenu, à 32 ans seulement, le plus jeune député à occuper de telles fonctions dans l'histoire du pays. Il n'a pas sollicité le poste à nouveau en 2015, après la victoire des libéraux, pour ne pas dégarnir davantage les rangs des conservateurs aux Communes, relégués aux banquettes de l'opposition après 10 ans de pouvoir.

En entrevue, M. Scheer estime que le Parti conservateur n'a pas été en mesure d'offrir une véritable raison aux électeurs de lui accorder un autre mandat au dernier scrutin. « Nos politiques n'étaient pas la cause de nos problèmes durant les dernières élections. Nous n'avions pas une vision pour le pays, nous n'avons pas donné aux électeurs de raisons de voter encore pour nous. Nous avons demandé aux électeurs de nous dire merci. Mais les électeurs ne disent pas merci durant des élections. Ce n'est pas écrit sur le bulletin de vote. Ils choisissent leur avenir. C'était une erreur de notre part », estime-t-il.

La politique, une passion

M. Scheer est né à Ottawa dans une famille qui s'intéressait vivement à la politique. Son père travaillait aux archives du quotidien Ottawa Citizen. Le jeune Scheer, lui, était camelot pour le journal. Les sujets de discussion durant l'heure du souper portaient inévitablement sur la politique.

« Je regardais toujours la une du journal quand je le distribuais. En décembre 1989, le jour où Nicolae Ceaușescu a été exécuté, j'ai été choqué parce qu'il y avait une photo de lui dans le journal. J'en ai parlé à mon père. Je ne comprenais pas pourquoi dans un autre pays on pouvait tuer le dictateur. Il m'a alors expliqué que ce n'est pas comme ici, qu'il n'y avait pas de système démocratique. C'est à ce moment que j'ai compris que beaucoup de gens dans le monde n'ont pas l'occasion de choisir leur gouvernement. Et que si nous n'aimons pas quelque chose au Canada, nous pouvons voter, nous impliquer dans un parti. Pas besoin de tuer nos dirigeants ! », explique M. Scheer.

La division au sein du mouvement conservateur, M. Scheer l'a connue au sein de sa propre famille. Ses parents étaient tiraillés entre un Parti progressiste-conservateur qui avait connu sa part de problèmes à la fin des années 80 et la montée du Parti réformiste qui reflétait l'humeur des gens ordinaires. En 1998, toute la famille s'est tournée vers le Parti réformiste. « Il fallait brasser la cage », a-t-il dit. En 2003, il déménage à Regina et il décide de faire le saut en politique l'année suivante. Ces déchirements au sein de sa propre famille lui ont démontré l'importance d'assurer l'unité au sein du Parti conservateur pour déloger les libéraux.

En tout, 14 candidats briguent la direction du Parti conservateur. Mais M. Scheer souligne qu'il est le seul candidat à avoir des appuis dans toutes les provinces où les conservateurs ont des sièges. Au Québec, quatre députés - Alain Rayes, Pierre Paul-Hus, Sylvie Boucher et Luc Berthold - l'appuient.

Se libérer de la péréquation

S'il devient chef du Parti conservateur le 27 mai, et premier ministre aux élections d'octobre 2019, M. Scheer souhaite créer les conditions économiques qui permettraient au Québec de s'émanciper de la péréquation, comme l'a fait la Saskatchewan il y a quelques années après l'arrivée de Brad Wall au pouvoir. M. Scheer voue une certaine admiration au premier ministre Wall. « Il communique un message conservateur très positif et il a un plan économique crédible qui fonctionne », souligne-t-il.

« En Saskatchewan, on a reçu de la péréquation pendant des années. On n'était pas fiers de recevoir ces paiements. On a travaillé très fort pour s'en libérer. On a élu un parti qui est plus ouvert aux investissements et aux marchés libres. On a changé notre situation, et maintenant, on contribue au programme de péréquation. C'est la même chose au Nouveau-Brunswick et au Québec. Je peux parler de la transformation de la Saskatchewan. Les mêmes principes qui ont fonctionné en Saskatchewan peuvent faire pencher la balance au Québec aussi. »

Andrew Scheer s'esclaffe quand on lui demande s'il se voit comme une sorte de John Diefenbaker des temps modernes. « Je ne sais pas, mais la dernière fois que le Parti conservateur a eu un chef de la Saskatchewan, il a gagné 50 sièges au Québec ! »