L'ancien ministre péquiste Jean-Pierre Charbonneau presse le premier ministre Justin Trudeau de mettre en oeuvre au Canada l'un des plus grands rêves de René Lévesque, soit celui d'adopter un mode de scrutin proportionnel qui traduise la volonté réelle des électeurs.

M. Charbonneau, qui a piloté le dossier de la réforme des institutions démocratiques lorsqu'il était ministre dans le gouvernement de Bernard Landry, a soutenu que René Lévesque avait toujours cru aux mérites d'un mode de scrutin proportionnel durant sa carrière politique.

Dans une entrevue accordée à La Presse, M. Charbonneau a indiqué que le gouvernement libéral de Justin Trudeau pourrait donner une nouvelle impulsion à une réforme du mode de scrutin au Québec, reléguée aux oubliettes depuis quelques années, s'il respecte sa promesse de modifier le mode de scrutin sur la scène fédérale.

Considéré comme un expert en la matière, M. Charbonneau témoignera demain à Ottawa devant le comité spécial de la Chambre des communes qui a été mis sur pied par la ministre des Institutions démocratiques Maryam Monsef afin de proposer au gouvernement Trudeau un nouveau mode de scrutin. Le comité doit remettre son rapport final au début de décembre.

« Je suis un partisan de l'abolition du système actuel, a affirmé M. Charbonneau. Essentiellement, comme disait René Lévesque, c'est un système démocratiquement infect qui génère des gouvernements qui ne reposent pas sur des majorités. » 

« Nous sommes censés être dans une démocratie représentative, mais les législatures du Parlement canadien ne sont pas une représentation de la réalité des opinions politiques importantes de la population. Cela fait que ce n'est pas une démocratie représentative. C'est une démocratie truquée. »

L'ancien ministre, qui a été l'adjoint parlementaire de René Lévesque durant une partie de son deuxième mandat, a indiqué que le mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire sur une base régionale a fait ses preuves dans quelques pays, notamment en Allemagne et en Nouvelle-Zélande, et que cette option devrait être envisagée par le gouvernement Trudeau afin d'éviter qu'un parti politique ne règne sans partage en obtenant à peine 39 % des suffrages.

« René Lévesque voulait modifier le système et il n'a pas pu le faire pour toutes sortes de raisons. J'ai été son adjoint parlementaire. M. Trudeau a l'occasion de mettre en oeuvre un des grands rêves de René Lévesque. J'espère que le changement que M. Trudeau envisage apportera la même dynamique de changement au Québec. Finalement, ce qui bloque au Québec, c'est le manque de volonté de Philippe Couillard. M. Lévesque était un indépendantiste. Mais avant tout, il était un grand démocrate », a dit M. Charbonneau.

Durant la dernière campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau ont promis que les élections de 2015 seraient les dernières organisées en vertu du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Essentiellement, trois options sont sur la table : un vote préférentiel (les électeurs devraient voter en classant les candidats en ordre de préférence), un vote proportionnel (un parti politique obtiendrait un nombre de sièges aux Communes correspondant aux suffrages obtenus le jour du scrutin) et le statu quo (vote uninominal à un tour).

À l'image de l'Écosse

En entrevue, M. Charbonneau a tenu à réfuter les témoignages de certains experts selon lesquels l'adoption d'un mode de scrutin proportionnel entraînerait une certaine instabilité politique au Canada, dans la mesure où aucun parti ne pourrait obtenir un mandat majoritaire des électeurs, donnant ainsi aux partis marginaux une influence démesurée sur la gouverne du pays.

« Il n'y a jamais personne au Québec qui a proposé une proportionnelle pure comme en Italie. On favorise des systèmes comme en Allemagne ou en Écosse, où il faut que les partis recueillent un seuil minimum d'appuis pour avoir droit à des sièges qui sont répartis en fonction des résultats. Si un parti n'a pas 5 % des voix, par exemple, il ne peut obtenir de sièges. Ce système a été expérimenté ailleurs, et il fonctionne », a dit M. Charbonneau.

L'ancien ministre a déploré qu'au Québec, la réforme du mode de scrutin n'ait jamais abouti « à cause du manque de volonté politique ».

« En 2003, tous les chefs de parti se sont engagés à modifier le mode de scrutin », mais l'ancien gouvernement de Jean Charest a préféré mettre toute réforme sur la glace malgré les longs travaux d'une commission parlementaire et d'un comité de citoyens.