Le philosophe Charles Taylor a accusé samedi le premier ministre Stephen Harper de faciliter la tâche des recruteurs terroristes par ses commentaires sur le voile musulman.

Après un discours au sommet annuel de l'institut Broadbent, un groupe de réflexion social-démocrate, celui qui a coprésidé la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements culturels et religieux, en 2007, a dit croire que M. Harper nourrit l'islamophobie. M. Taylor soutient que les musulmans sentent qu'ils ne sont pas les bienvenus au Canada et qu'ils se sentent dépréciés, ce qui fait d'eux des cibles faciles pour le recrutement par des islamistes terroristes.

«Demandez-vous ce que disent les recruteurs de l'État islamique. Ils disent (aux musulmans): »Regardez, ils vous méprisent, ils pensent que vous êtes des étrangers, que vous êtes dangereux, vous n'êtes pas acceptés ici, alors pourquoi ne venez-vous pas avec nous?«», a dit M. Taylor.

«Plus on fait comme cela, plus on les aide. Et c'est étrange que les gens ne voient pas cela.»

M. Harper a affirmé qu'il était «offensant» pour les femmes de porter le niqab durant la cérémonie d'assermentation à la citoyenneté. Il a également qualifié le niqab, le voile qui laisse seulement les yeux à découvert, de produit d'une culture «anti-femme».

La semaine dernière, le simple député Larry Miller a été forcé de présenter ses excuses pour avoir dit que les femmes qui insistaient pour porter le voile durant la cérémonie de citoyenneté devraient «retourner d'où elles sont venues» («stay the hell where they came from», a-t-il dit exactement).

Le bureau du premier ministre a qualifié le commentaire d'«inapproprié» mais M. Harper ne s'est pas personnellement prononcé.

Les sondages démontrent qu'une majorité de Canadiens sont d'accord avec M. Harper. M. Taylor a affirmé que c'était «une réaction ridiculement disproportionnée» à «l'infime» nombre de femmes portant le niqab au Canada.

Néanmoins, il a ajouté que cette réaction était compréhensible étant donné la violence du terrorisme islamique.

«Nous sommes dans un contexte où l'islamophobie est très puissante en Occident, a soutenu M. Taylor. C'est parfaitement compréhensible émotionnellement. Nous devons la surmonter, et la pire et la dernière chose dont nous avons besoin est que nos chefs politiques surfent dessus et l'encouragent.»

Cet ancien professeur de philosophie et de politique à l'université McGill trouve que Stephen Harper semble sourd aux impacts dangereux que pourrait avoir son discours, mais admet que c'est une tactique qui pourrait lui rapporter des votes aux prochaines élections fédérales l'automne prochain.

Il a donc exhorté les chefs politiques à faire preuve de retenue, même si cela leur rapporte des votes, plutôt que de risquer de causer des «dommages terribles» à la société canadienne.

Le chef libéral, Justin Trudeau, a été critiqué par les conservateurs, le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, et deux importants groupes juifs pour avoir laissé entendre que M. Harper employait une rhétorique semblable à celle qui avait déclenché les épisodes antisémites du Canada.

Prenant sa défense, Charles Taylor a affirmé que la réduction à des stéréotypes et la stigmatisation des musulmans aujourd'hui était en fait «sociologiquement très, très similaire» à celles auxquelles ont fait face les juifs par le passé.

«Nous voyons, hélas, ce genre de bouc émissaire dans l'histoire humaine. (...) Nous devons combattre (ce phénomène) lorsqu'il survient, sans pitié. C'est une chose à laquelle il ne faut pas céder un pouce, pas un centimètre.»