Le gouvernement Harper a lancé un immense filet fiscal le 1er janvier dans l'espoir de débusquer les contribuables canadiens qui se livrent à l'évasion fiscale. Depuis le début de l'année, tous les télévirements internationaux de 10 000$ ou plus doivent être signalés à l'Agence du revenu du Canada (ARC). Des milliers de contribuables ont ainsi choisi de sortir volontairement de l'ombre avant de voir le fisc partir à leurs trousses, a appris La Presse.

Nouvel outil

Dans sa croisade pour combattre l'évasion fiscale à l'étranger et protéger l'assiette fiscale, le gouvernement Harper a adopté une nouvelle mesure qui oblige les institutions financières et les casinos à déclarer les télévirements internationaux de 10 000$ ou plus à l'Agence du revenu du Canada. Ces déclarations se font d'abord au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), comme l'exige la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. La nouveauté, c'est que CANAFE transmet maintenant automatiquement ces déclarations au fisc. Ces informations l'aident à repérer les contribuables qui cherchent à éviter de payer leur dû ou qui tentent de dissimuler des revenus et des actifs à l'étranger.

Déjà des résultats

Le gouvernement Harper avait annoncé son intention d'utiliser cet immense filet fiscal en 2013. Mais la date d'entrée en vigueur était prévue le 1er janvier 2015. En quelques semaines seulement, cet outil a donné des résultats impressionnants. En date du 17 février, l'ARC a reçu 1,5 million de déclarations de télévirements internationaux de 10 000$ ou plus. En moyenne, l'agence s'attend à recevoir 10 millions de déclarations du genre par année seulement: une mine d'or d'informations pour le fisc, qui souhaite faire la vie dure aux fraudeurs. «La grande majorité de ces déclarations [des entreprises ou des contribuables honnêtes] sont légitimes. Mais cela nous donne un outil indispensable pour lutter contre l'évasion fiscale à l'étranger», a affirmé à La Presse Rebecca Rogers, la directrice des communications de la ministre du Revenu national Kerry-Lynne Findlay.

Sortir de l'ombre

Sachant qu'ils risquent de se faire prendre par le fisc un jour ou l'autre, les contribuables ayant omis de déclarer des avoirs à l'étranger sont deux fois plus nombreux à sortir de l'ombre que l'an dernier. Si, en 2013-2014, le fisc a vu 5248 contribuables avoir recours au programme des divulgations volontaires (PDV) pour régulariser leur situation, ils étaient près du double à le faire durant les 10 premiers mois de l'exercice financier 2014-2015, soit 9244 contribuables en date du 15 février. En 2013-2014, les divulgations volontaires des contribuables ont permis à l'ARC de relever 303 millions de dollars en revenus non déclarés. Durant les 10 premiers mois du présent exercice financier, c'est plus du double: 625 millions de dollars en revenus non déclarés. «Il est évident que cette hausse importante des divulgations volontaires est liée à l'obligation de déclarer les télévirements internationaux qui est entrée en vigueur le 1er janvier», a soutenu Rebecca Rogers, du bureau de la ministre du Revenu national. Évidemment, les provinces toucheront éventuellement leur juste part des impôts sur ces revenus jusqu'ici non déclarés.

Pas de pitié pour les retardataires

Les contribuables qui se manifestent alors qu'ils font déjà l'objet d'une enquête ne pourront pas éviter le châtiment de l'Agence du revenu du Canada. Ils se verront imposer une pénalité imposante et pourraient aboutir en prison. «Les conséquences peuvent être graves pour ceux qui ne se dénoncent pas», clame-t-on à l'ARC. D'avril 2006 au 31 mars 2013, l'ARC a d'ailleurs condamné 62 contribuables pour évasion fiscale impliquant 20 millions de dollars en impôt fédéral éludé, des amendes imposées par les tribunaux totalisant environ 12 millions de dollars et 701 mois de prison. Les renseignements obtenus grâce aux déclarations de télévirements internationaux sont comparés aux déclarations de revenus faites à l'ARC par les contribuables). Et depuis 2013, L'ARC dispose de trois ans de plus pour envoyer une nouvelle cotisation aux contribuables qui ont omis de déclarer des avoirs à l'étranger.

Objectifs dépassés?

Dans son dernier budget, le gouvernement Harper s'était fixé comme objectif de récupérer 44 millions de dollars en impôts impayés dans le cadre de sa lutte contre l'évasion fiscale au pays et à l'étranger en 2014-2015. Mais la dernière mesure entrée en vigueur pourrait permettre de dépasser cet objectif, bien que l'ARC refuse de s'avancer sur un chiffre précis pour le moment. En 2015-2016, l'objectif est toutefois plus ambitieux: 389 millions de dollars. Et il est encore plus imposant l'année suivante, soit 439 millions.

D'autres outils

L'an dernier, le gouvernement Harper a décidé d'emboîter le pas à des pays membres de l'OCDE, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, et de remettre une somme d'argent aux dénonciateurs pour démasquer les fraudeurs. Depuis l'entrée en vigueur du «programme de dénonciateurs de l'inobservation fiscale à l'étranger», l'ARC a reçu 1700 appels et 189 soumissions écrites pour dénoncer des gens qui refusent de payer leur dû au fisc. Pour l'heure, ces appels et soumissions ont permis aux enquêteurs d'ouvrir 110 dossiers qui pourraient permettre de débusquer des fraudeurs et permettre aux dénonciateurs de toucher des récompenses variant entre 5 et 15% des impôts récupérés si la somme en cause dépasse les 10 0000$.

Les médias sociaux

Aux États-Unis, le fisc américain a décidé d'intensifier sa lutte contre l'évasion fiscale en ayant recours aux médias sociaux. Les contribuables qui exhibent un train de vie somptueux sur leur compte Facebook, Tweeter ou Instagram risquent donc de se trouver dans la mire de l'Internal Revenue Service (IRS) des États-Unis, rapportait il y a quelques mois le site Marketplace. L'IRS utiliserait les photos de voyage, de maisons et de voitures de luxe pour constituer des portraits d'individus susceptibles de se livrer à l'évasion fiscale. Mais à Ottawa, on refuse de divulguer «les outils et les méthodes spécifiques utilisés lors d'une vérification ou enquête criminelle».