Les sénateurs qui étudient le projet de loi «sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares» s'interrogent sur la nécessité de la pièce législative des conservateurs, mais aussi sur son appellation même.

Le projet de loi S-7, destiné à bannir au Canada la polygamie et les mariages forcés, prévoit en fait des amendements aux lois sur l'immigration et au Code criminel.

Le ministre de l'Immigration, Chris Alexander, a indiqué jeudi aux membres du comité sénatorial permanent des droits de la personne que le projet de loi donnera un outil législatif supplémentaire pour lutter contre la violence faite aux femmes.

«Nous aimerions pouvoir dire qu'en 2014, au Canada, ces questions ne nous concernent pas, a-t-il dit. Mais des événements dans certaines communautés du pays et la violence quotidienne contre les femmes démontrent que nous avons le devoir d'agir.»

La sénatrice conservatrice Raynell Andreychuk a cependant fait remarquer que si tel est l'objectif du projet de loi, le mot «violence» devrait figurer dans l'intitulé, alors que l'on met actuellement l'accent, d'une manière un peu dramatique, sur les «pratiques culturelles barbares».

Le ministre Alexander a répondu que le seul débat suscité par le titre du projet de loi constitue déjà une victoire pour le gouvernement.

«Qu'est-ce qu'une pratique barbare ? C'est une pratique inacceptable, impliquant de la violence souvent systématique, infligée de façon gratuite, derrière des portes closes, où les femmes et les filles sont sans défense, où toute la famille conspire pour qu'une mineure mente sur son âge, et participe à un mariage forcé», a-t-il expliqué. «Pour moi - et pour beaucoup de Canadiens, à mon avis -, il s'agit d'actes barbares.»

Le projet de loi S-7 prévoit notamment l'«interdiction de territoire, pour le seul motif de polygamie, des résidents temporaires et permanents qui pratiquent la polygamie au Canada», sans même qu'ils aient été condamnés au criminel. Une personne jugée interdite de territoire pourrait alors faire l'objet d'une mesure de renvoi du Canada. La polygamie est déjà une pratique illégale au pays.

Le projet de loi prévoit aussi l'exigence d'un «consentement libre et éclairé» pour un mariage, et établirait à 16 ans le nouvel âge minimal à l'échelle nationale pour le mariage. Cette exigence juridique existe actuellement dans une loi qui ne s'applique qu'au Québec, en vertu de l'harmonisation du droit fédéral avec le droit civil. Dans les autres provinces et territoires, la common law est parfois interprétée comme établissant l'âge minimal du mariage à 14 ans pour les garçons et à 12 ans pour les filles.

Le gouvernement veut aussi interdire le déplacement à l'étranger d'un enfant pour y tenir un mariage forcé ou le mariage de personnes de moins de 16 ans.

Cette disposition semble inspirée directement de pratiques de la secte polygame de Bountiful, en Colombie-Britannique, qui aurait marié aux États-Unis des adolescentes avant de les rapatrier au pays. Quatre membres de cette communauté sont accusés relativement à cette pratique, mais la Couronne n'a jamais pu jusqu'ici obtenir contre la secte une condamnation pour polygamie.

Le projet de loi éliminerait aussi du Code criminel la «défense de provocation» dans les cas de crimes dits «d'honneur», qui permet actuellement à une personne reconnue coupable de meurtre de demander qu'on la reconnaisse plutôt coupable d'homicide involontaire, en plaidant que «le comportement de la victime (et le déshonneur sur la famille) l'a provoquée à perdre le contrôle et à tuer».

Des responsables au ministère de l'Immigration ont cependant indiqué au comité que cette «défense de provocation» n'avait jamais été invoquée dans une cause de «crime d'honneur», ce qu'a rappelé jeudi le sénateur libéral Art Eggleton.

L'ancien ministre de Jean Chrétien a soutenu que les lois actuelles sont adéquates pour lutter contre les mariages forcés et les «crimes d'honneur».