(Ottawa) Le gouvernement a plaidé, dans une lettre envoyée à la commission d’enquête sur l’ingérence étrangère, qu’il serait intenable de lui demander de mener « à plus long terme » un travail tel que celui qui a été fait pour la divulgation de 13 documents caviardés.

« Pour respecter l’échéancier prévu, le gouvernement a détourné les experts sur le sujet des renseignements précis contenus dans les documents de leur rôle de collecte et d’analyse de renseignement afin qu’ils participent à cet examen », peut-on lire dans la missive rédigée par des avocats du ministère de la Justice.

L’exercice de révision a demandé 200 heures de travail, affirme-t-on, et « ce niveau d’examen n’est pas viable s’il est reproduit à long terme », a-t-on poursuivi.

La lettre accompagne 13 documents qui ont été déposés jeudi dans le cadre des travaux de l’enquête publique et indépendante.

« Il est clair que le caviardage de documents à grande échelle ne sera pas une solution efficace compte tenu des délais impartis », font valoir les avocats.

Selon eux, d’autres approches doivent être envisagées, comme « du caviardage sur un nombre limité de documents qui soit soutenable et proportionnel ». On mentionne aussi comme avenue la production de « résumés d’une quantité circonscrite de documents ou de sujets ».

Questionné sur ce passage de la missive, le grand patron du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault, a voulu témoigner de son « engagement personnel » à ce que son organisation fasse « tout en (son) possible pour soutenir la commission ».

Au fil d’échanges avec l’avocat représentant une coalition de médias, le directeur du SCRS a affirmé en audiences que demander la divulgation d’informations fait partie du mandat de celle qui dirige l’enquête publique et indépendante, la commissaire Marie-Josée Hogue.

Le conseiller adjoint à la sécurité nationale pour le Bureau du conseil privé, Daniel Rogers, a soutenu qu’il « pourrait imaginer une telle possibilité » où il serait intenable de reproduire à long terme la révision faite sur les 13 documents déposés jeudi.

« C’est pourquoi, du côté du gouvernement, nous mentionnons aussi dans cette lettre la capacité d’utiliser d’autres processus pour atteindre la même finalité », a-t-il répondu à une question qui lui a été posée par l’avocat représentant le Conseil des Ukrainiens Canadiens.

Environ 80 % des documents reçus jusqu’à présent par l’équipe de Mme Hogue sont classifiés. Parmi ceux-ci, 80 % ont les cotes de protection les plus élevées, c’est-à-dire qu’ils sont considérés comme « très secrets » ou plus.

La commissaire et son entourage ont accès à la version non caviardée des documents, mais elle insiste depuis sa nomination sur sa volonté de maximiser la quantité d’informations qui pourra être divulguée au public.

M. Vigneault a soutenu qu’il est possible de divulguer, avec le passage du temps, certaines informations qui étaient auparavant considérées « confidentielles », « secrètes » ou « très secrètes ».

« Je pense que c’est important pour le reste du travail de la commission de voir que la temporalité a un impact », a-t-il dit.

Il a donné en exemple un document produit en 2021 dans lequel certains passages ont pu être dévoilés dans le cadre des travaux de l’enquête publique et indépendante.

« Le préjudice est différent en 2024 ou 2023 », a-t-il résumé en faisant référence aux risques, pour la sécurité nationale, associés à la divulgation.

Mercredi, un ancien haut placé du SCRS, Alan Jones, évoquait justement la « temporalité » pour déclassifier partiellement ou entièrement des documents.

Par ailleurs, M. Vigneault s’est montré en désaccord avec M. Jones et l’ancien numéro un du SCRS, Richard Fadden, voulant que l’organisation ait tendance à protéger outre mesure des informations sous le sceau de la confidentialité.

« J’ai une expérience différente », a-t-il affirmé. Il a soutenu qu’une « évolution au fil du temps » a eu lieu et que le SCRS communique davantage d’information destinée au public qu’auparavant.

M. Vigneault a notamment mentionné des documents rendus publics, comme l’un d’eux intitulé « L’ingérence étrangère et vous ».

Il a insisté sur le public visé par des documents classifiés sur l’ingérence étrangère, c’est-à-dire des personnes triées sur le volet à l’intérieur du gouvernement.

« Ces documents ont été conçus dans le but […] d’inclure des informations classifiées, d’être lus par des personnes ayant une cote de sécurité et ayant besoin de savoir. Alors ces documents, leur totale essence était de contenir plein de secrets », a-t-il dit.

La semaine d’audiences doit se terminer vendredi avec la comparution du ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc.

Les discussions sur la sécurité nationale et la confidentialité des informations doivent préparer le terrain pour les prochaines audiences publiques, qui devraient avoir lieu à la fin du mois de mars.

Mme Hogue doit remettre un premier rapport au plus tard le 3 mai. Le rapport final est pour sa part attendu d’ici à décembre 2024.