Au moment où plusieurs Canadiens s'inquiètent d'avoir du mal à entrer aux États-Unis, ce sont plutôt les Américains qui ont de plus en plus de difficulté à visiter le Canada. Le nombre d'Américains refoulés à la frontière a explosé de 31 % l'an dernier, a appris La Presse.

30 233 CAS

Selon des documents obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, 30 233 Américains ont dû rebrousser chemin après avoir tenté d'entrer au Canada l'an dernier. En 2015, ils étaient 23 052 à avoir subi un sort similaire. Cela représente un bond de 31 % en un an. La hausse est encore plus fulgurante si l'on compare à 2014, alors que seulement 7509 citoyens américains se sont vus refuser l'accès au pays. L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), responsable de garder les frontières, s'est montrée discrète sur les causes de cette hausse spectaculaire. « L'ASFC n'est pas en mesure de spéculer, a indiqué le porte-parole Nicholas Dorion. Le nombre de personnes refoulées à la frontière fluctue d'année en année. »

NOUVELLES RÈGLES

L'annonce d'un nouvel accord sur le partage de renseignements entre Ottawa et Washington, en 2013, a sans doute un rôle à jouer dans cette explosion du nombre d'Américains refusés de séjour au Canada, selon Tamara Mosher-Kuczer, avocate spécialisée en immigration au cabinet Capelle Kane, à Ottawa. En vertu de cette entente, les agents douaniers peuvent détecter beaucoup plus facilement les antécédents criminels des Américains qui se présentent aux postes-frontières canadiens. Des délits, parfois commis il y a plusieurs décennies, qui n'auraient auparavant pas été détectés. « On reçoit beaucoup plus de demandes de gens qui voyageaient depuis des années au Canada sans problème et qui se font maintenant refuser l'entrée pour un délit de conduite avec les facultés affaiblies qui date de plus de 40 ans », a expliqué l'avocate.

« INTERDITS DE TERRITOIRE »

L'ASFC a refusé de détailler les causes des 30 233 refus exprimés à des Américains l'an dernier. Les gens refoulés à la frontière, par exemple à l'aéroport Montréal-Trudeau ou au poste terrestre de Lacolle, reçoivent en général « l'autorisation de quitter », précise toutefois l'agence fédérale. « Si un individu est soupçonné d'être interdit de territoire au Canada par un agent des services frontaliers du Canada pour toute raison énoncée en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, l'agent doit toujours envisager d'autoriser la personne à quitter le Canada volontairement, a souligné Nicholas Dorion. Lorsque l'agent d'un port d'entrée autorise une personne à retirer sa demande d'entrée au Canada, il doit procéder en lui donnant un formulaire "Autorisé à quitter le Canada". » C'est la compilation de ces documents que La Presse a pu consulter grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

LES AGENTS DÉBORDÉS

Qu'importe les causes des refus, les agents douaniers se disent débordés. À bout de ressources. Jean-Pierre Fortin, porte-parole du Syndicat des douanes et de l'immigration, qui représente plus de 10 300 employés, cite en exemple le chaos observé en août dernier à l'aéroport de Montréal. Des milliers de voyageurs avaient alors dû attendre pendant des heures, entassés comme des sardines, sans aucune explication. La situation a continué à se dégrader au cours des derniers mois, avec l'arrivée massive de réfugiés par voie terrestre, avance M. Fortin. « Nos membres sont excessivement inquiets. Le budget fédéral vient d'être passé la semaine dernière, et pas une seule ressource n'a été annoncée pour la protection des frontières. On a été patients pour voir ce qui allait se passer, mais il n'y a pas un sou noir d'argent neuf. »

L'INVERSE AUX ÉTATS-UNIS

Malgré quelques incidents fort médiatisés depuis l'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, les Canadiens sont maintenant moins nombreux à être refoulés à la frontière américaine. Selon La Presse canadienne, le nombre de Canadiens refusés aux points d'entrée terrestres a fléchi de 8,5 % pendant les cinq derniers mois. Ainsi, 6875 Canadiens n'ont pu pénétrer sur le territoire américain entre octobre 2016 et février 2017, comparativement à 7619 pendant la même période un an plus tôt. Ces statistiques étonnantes n'empêchent pas plusieurs Canadiens de craindre le passage à la douane américaine - au point de vouloir l'éviter à tout prix. La Commission scolaire du district de Toronto, qui regroupe 245 000 élèves, a par exemple suspendu indéfiniment tout voyage scolaire aux États-Unis.

BAISSE GLOBALE EN 2016

Si les Américains ont été beaucoup plus nombreux à être refusés au Canada en 2016, le nombre total d'étrangers refoulés a légèrement baissé. Selon les données de l'ASFC obtenues par La Presse, 50 389 visiteurs ont subi un tel sort l'an dernier, contre 50 783 un an plus tôt. Le Mexique compte le plus grand nombre d'exclus après les États-Unis (2729 personnes en 2016), suivi de la Chine (1783), de l'Inde (1470), de la Colombie (912), de l'Équateur (647), de l'Arabie saoudite (563) et de la France (561). Quant aux Syriens, dont le sort fait la manchette depuis plusieurs mois déjà, à peine 77 d'entre eux ont été refusés l'an dernier au Canada, puis 15 depuis le début de 2017.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse