Dans un geste hautement inhabituel, la Russie demandera au Canada d'extrader un homme de 93 ans réfugié au Québec et placé sur la liste des 10 criminels nazis les plus recherchés par une organisation internationale de défense des droits des Juifs afin qu'il soit jugé pour crimes de guerre.

Vladimir Katriuk est établi au Canada depuis les années50 et détenteur de la citoyenneté canadienne. L'homme d'origine ukrainienne vit avec sa femme dans le village d'Ormstown en Montérégie, où il élève des abeilles.

Il est soupçonné d'avoir participé à la tuerie du village de Katyn en Biélorussie en mars 1943* alors qu'un bataillon de la SS a assassiné 149 civils, dont 75 enfants et adolescents en les enfermant dans une grange avant d'y mettre le feu.

Questionné sur sa vie avant le Canada, le vieil homme, joint chez lui par La Presse, a répondu ne pas avoir de commentaire. «L'affaire, ça fait longtemps qu'elle est finie. Je ne comprends pas ce qu'ils veulent», a-t-il dit avant de nous inviter à nous adresser à son avocat. Ce dernier ne nous a pas rappelés.

M. Katriuk, qui n'a pas à ce jour été reconnu coupable, est poursuivi depuis de nombreuses années par les fantômes de son passé. Dès 1999, la cour fédérale du Canada tranché qu'il avait menti pour obtenir sa citoyenneté canadienne, cachant le fait qu'il s'était volontairement enrôlé dans un bataillon nazi.

Les autorités avaient alors décidé de révoquer sa citoyenneté, décision qui a été infirmée en 2007 faute de preuve.

Puis en 2012, il a été placé par le Centre Simon-Wiesenthal au quatrième rang de la liste des 10 fugitifs nazis les plus recherchés dans le monde. Trois ans plus tard, voilà que la Russie demande son extradition.

Un geste politique



Pourquoi maintenant? Selon les autorités Russes, en cette année du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, «aucune personne ayant participé ou contribuée à la machine d'extermination nazie ne peut échapper à ses responsabilités pour des crimes haineux et inhumains».

Aux yeux des experts, il s'agit aussi d'une manoeuvre politique pour faire mal paraître à la fois l'Ukraine et le Canada dans un contexte politique particulièrement tendu.

«C'est une façon de mettre de la pression sur le Canada», croit Kyles Matthews, directeur adjoint de l'Institut montréalais pour l'étude du génocide et des droits de l'homme. «Ça dit: regardez, le Canada détourne les yeux et laisse vivre des nazis chez lui.»

«C'est un excellent coup de relations publiques, ajoute le spécialiste de la Russie rattaché à l'UQAM, Yann Breault. «C'est une manière de rappeler le rôle que certains Ukrainiens ont joué avec les nazis durant la Deuxième Guerre mondiale. On lance le message aux Biélorusses que même si les Ukrainiens sont des cousins slaves, il y a aussi des fascistes parmi eux.»

Combattre l'impunité



Stratégie politique ou non, s'il existe suffisamment de preuves de la participation de Vladimir Katriuk à la tuerie de Katyn, l'homme doit être jugé, tranche la directrice du Centre commémoratif de l'Holocauste à Montréal, Alice Herscovitch.

«Les survivants de l'Holocauste et leurs descendants veulent absolument que les mesures soient prises pour que [les coupables] soient jugés pour leurs crimes, et cela, qu'ils aient 100 ans ou 40 ans. Oui, il y a peut-être une utilisation politique, mais ça ne devrait pas nous empêcher de faire ce qui est le plus important».

Dans une déclaration écrite envoyée vendredi à La Presse, l'attaché de presse de l'ambassade russe à Ottawa, Kirill Kalinin, affirme «compter sur le soutien complet et impartial du gouvernement canadien» pour extrader le nonagénaire et «amener le collaborateur nazi au tribunal».

Que fera Ottawa?



«C'est une position inconfortable pour le Canada», croit Yann Breault. En accédant à la demande d'extradition, le gouvernement Harper sanctionnerait publiquement celui de Vladimir Poutine, ce qu'il tentera d'éviter. «Selon moi, ils vont essayer de faire traîner ça jusqu'après les élections fédérales pour ne pas perdre le vote de la communauté ukrainienne [établie au Canada], qui appuie les conservateurs.»

Alice Herscovitch espère pour sa part que les jeux politiques n'empêcheront pas justice de se faire. «On va espérer que la loi sera appliquée avec la même rigueur que si c'était un autre pays.»

* À ne pas confondre avec le massacre de Katyn, en 1940, au cours duquel plus de 20 000 officiers polonais ont été exécutés par l'armée soviétique.