Le commerçant retrouvé au fond d'une tranchée du chantier de la rue Saint-Denis dément y avoir sauté délibérément et songe à poursuivre la Ville de Montréal pour la gestion déficiente du chantier. « Je n'ai jamais voulu sauter dans le trou », assure Mou Kun, en entrevue à La Presse.

« Sans moi, le restaurant fermerait. Comme les affaires sont mauvaises, j'ai dû remercier deux de mes employés et c'est rendu moi le seul cuisinier. Je dois y retourner pour subvenir aux besoins de ma femme et de mes enfants », dit le restaurateur. Le jeune couple d'origine chinoise attend son deuxième enfant d'ici quelques mois.

Le commerçant se trouvait dans son restaurant de la rue Saint-Denis, le Wok N Roll, mercredi matin, pour recevoir une livraison. Avant de partir, le livreur lui a demandé de payer, et le commerçant est ainsi sorti de son restaurant pour aller prendre son carnet de chèques dans son appartement, situé à l'étage.

Mais l'escalier menant à son logement donne directement sur l'une des tranchées creusées dans le cadre des travaux de reconstruction de la rue Saint-Denis. Au moment de prendre appui sur la feuille de contreplaqué recouvrant le trou, Mou Kun dit avoir senti le sol se dérober sous ses pieds.

Tombé à la renverse trois mètres plus bas, Mou Kun dit avoir perdu connaissance. Quand il s'est réveillé, il a voulu sortir par lui-même, mais les pompiers lui ont dit de ne pas bouger, d'attendre qu'ils le sortent de sa fâcheuse position.

« J'ai dû passer une heure au fond du trou. Il faisait très froid », relate le restaurateur de 36 ans. Plus de 24 heures après sa mésaventure, ses mains rouge écarlate et gonflées portent encore les traces de la morsure du froid.

Sa femme, Jing Xu, estime que ses blessures démontrent qu'il n'a pas plongé délibérément dans la tranchée, mais qu'il est tombé par accident. « S'il avait sauté, ses blessures seraient sur sa tête, sur son torse. Ce n'est pas le cas, ses blessures sont sur son dos », dit-elle en pointant son mari.

Sécurité déficiente

Le couple songe sérieusement à poursuivre la Ville pour le manque de sécurité du chantier devant son commerce, mais aussi pour avoir prétendu que le restaurateur avait sauté délibérément dans le trou. Jing Xu veut aussi porter plainte à la Commission des droits de l'homme, estimant que le couple fait l'objet de discrimination en raison de son origine ethnique. Son mari et elle cherchent un avocat prêt à les aider. « On peut payer un peu, mais les temps sont difficiles », dit la femme.

Quand on lui souligne que des témoins ont signalé l'avoir vu délibérément sauter, Mou Kun rétorque que ces témoignages proviennent d'employés du chantier. Or, le restaurateur dit avoir eu des prises de bec depuis qu'ils ont creusé une tranchée devant son commerce, il y a un peu plus d'une semaine.

Mou Kun dément avoir bousculé des employés du chantier ou s'être attaché, il y a une semaine, à la clôture de sa terrasse en guise de protestation. Mais oui, il s'est interposé quand ils ont voulu retirer une partie de la clôture ceinturant sa terrasse. Sa femme a appelé à deux reprises le 9-1-1 pour se plaindre du travail des ouvriers.

Le couple assure ne pas en avoir contre la lenteur des travaux mais contre la difficulté d'accès à son commerce.

« Si on avait un accès direct, on pourrait garder 40 à 50 % de nos clients et survivre. Mais là, c'est compliqué se rendre à notre restaurant et on a seulement 20 %. On ne peut pas arriver comme cela », a dit Jing Xu.

Problèmes de communication

Même s'il est au Québec depuis près de 10 ans, Mou Kun ne parle pas français ou anglais couramment. C'est sa femme qui s'occupe des communications du couple, qui s'avèrent souvent difficiles et teintées d'incompréhension.

Signe des obstacles rencontrés, l'hôpital cherchait hier un interprète parlant le mandarin. Mais comme rien n'est jamais simple pour ce couple, c'est un interprète pakistanais qui s'est d'abord manifesté à la suite d'une erreur administrative.