Convaincus que l'ex-maire Gérald Tremblay et des hauts fonctionnaires sont intervenus à dessein pour bloquer leur projet au profit d'un acteur local, d'anciens représentants québécois d'une multinationale française de l'immobilier se tournent vers les tribunaux: ils demandent à la cour de forcer la Ville à leur vendre l'un des terrains les plus convoités du Vieux-Montréal ou de leur verser 8 millions en dommages.

Constructa Immobilier, qui était affiliée avec le géant français Constructa jusqu'à l'échec de son projet, vient tout juste de signifier sa poursuite à la Ville, a appris La Presse.

«Avec les témoignages entendus à la commission Charbonneau sur l'octroi des contrats, la demanderesse est justifiée de penser que des irrégularités ont pu nuire au cheminement de son dossier dans le dédale administratif et politique», écrivent ses avocats dans leur requête.

L'entreprise tentait depuis 2005 d'acquérir auprès de la Ville un terrain près du boulevard Saint-Laurent, entre les rues Notre-Dame et Saint-Jacques. Ce terrain, l'un des rares encore vacants dans ce secteur, est exploité comme stationnement à ciel ouvert. La Ville veut le vendre depuis longtemps à un promoteur immobilier; elle prévoit qu'il rapportera jusqu'à 1 million de dollars par année en taxes lorsqu'une construction y sera érigée.

Lors de l'appel de propositions initial, Constructa avait terminé deuxième. Mais comme celui qui a remporté l'appel a ensuite été disqualifié, la Ville a entrepris des négociations pour vendre à Constructa. Pour faciliter les choses, l'entreprise a accepté alors de racheter les plans de son concurrent disqualifié, car ils avaient déjà été approuvés par le service d'urbanisme.

Nouvelle condition

Alors qu'elle pense régler l'affaire rapidement, Constructa a la surprise de voir la Ville lui imposer une nouvelle condition sortie de nulle part: son immeuble devait fournir 50 places de stationnement souterrain à l'hôtel Place d'Armes, situé juste en face, rue Saint-Jacques. L'hôtel appartient à la famille Antonopoulos, propriétaire d'une dizaine d'hôtels et de restaurants dans le Vieux-Montréal.

«Pierre Bernardin, alors directeur général adjoint, n'a pas hésité à faire des pressions indues, pour ne pas dire un chantage éhonté, auprès de la demanderesse dans le but de favoriser Costa Antonopoulos et/ou Hôtel Place d'Armes», affirme la poursuite. Bernardin aurait menacé de laisser le dossier moisir sur son bureau si Antonopoulos n'obtenait pas ses places de stationnement.

À l'époque, le Groupe Antonopoulos s'intéressait lui-même au terrain. Le directeur des transactions immobilières à la Ville, Michel Nadeau, avait signifié à cet important acteur du secteur qu'il pourrait faire une offre seulement si les négociations avec Constructa échouaient.

Constructa dit alors avoir constaté que son dossier traînait étrangement en longueur. Elle affirme dans sa poursuite que c'est notamment à cause de Michel Nadeau, qui aurait faussé les données lors de la présentation du projet aux élus. Le haut fonctionnaire aurait «sciemment menti aux membres du comité exécutif» afin de «les induire en erreur et ainsi faire déraper le dossier [de Constructa]".

Puis, le 13 juillet 2010, alors que les négociations entre les fonctionnaires et Constructa étaient toujours en cours, le maire Gérald Tremblay a donné ordre aux fonctionnaires de mettre fin au processus.

Un nouvel appel de propositions a été lancé et c'est un consortium dont fait partie le Groupe Antonopoulos qui a remporté la mise. La Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM), le bras immobilier de la Ville, lui avait entre-temps vendu un immeuble adjacent qui rendait sa proposition plus intéressante.

En décembre dernier, la Ville avait expliqué à La Presse qu'elle croyait avoir bien fait en annulant les négociations avec Constructa, puisque le Groupe Antonopoulos avait proposé 5,4 millions, soit 1,8 million de plus que Constructa.

Hier, l'administration municipale n'était plus en mesure de commenter l'affaire puisque le dossier est devant la cour.

Pour l'instant, la vente au Groupe Antonopoulos n'a toujours pas été approuvée par le conseil municipal, qui doit se pencher sur la question à sa prochaine réunion.