Le nombre de plants de marijuana saisis dans des résidences ne cesse de croître. Victimes collatérales de ce phénomène: les futurs acheteurs de ces propriétés, qui se retrouvent souvent avec de très mauvaises surprises. Suite et fin de notre dossier sur les usines à pot à domicile.

Pour Nadine Boissonneault et Nicolas Larrivée, l'achat d'une maison où élever leurs deux fillettes s'est transformé en véritable cauchemar.

L'affaire débute en 2008 par un coup de coeur pour cette propriété, dans une rue paisible de Pointe-aux-Trembles. Une maison coquette, avec un sous-sol et une cour gazonnée.

Les acheteurs sont mis au courant du fait que la maison a déjà servi de serre hydroponique durant l'hiver 2003. L'ancien propriétaire, courtier immobilier de Remax, mentionne dans sa déclaration de vendeur qu'il a déshumidifié le sous-sol et en a remplacé le gypse. Le hic, c'est que ces travaux masquent de nombreux problèmes.

Les premiers ennuis se présentent sous la forme de fissures dans les murs, surtout dans la salle de bains et dans la chambre d'Annabelle, 11 ans, la fille aînée du couple.

Les choses se corsent à la suite d'un week-end pluvieux. Des infiltrations apparaissent alors dans le faux plafond du sous-sol, où les insectes prolifèrent. «En enlevant les panneaux mouillés, on a constaté que la solive était noircie et que les cloportes grouillaient partout», explique M. Larrivée. Le couple fait appel aux services d'un exterminateur et alerte l'ancien propriétaire.

«Il nous avoue alors du bout des lèvres qu'il a déjà eu de l'infiltration d'eau et des insectes, sans toutefois en avoir fait mention dans sa déclaration de vendeur.»

Facture des travaux: 45 000$

Le couple est finalement forcé de se tourner vers les services d'une firme spécialisée pour obtenir une expertise technique. Sa soumission: près de 20 000$.

Dans son rapport, la société Latulippe et Associés soutient que les fissures sont majeures et datent de plusieurs années. Placé devant les faits, l'ancien propriétaire accuse Mme Boissonneault et son conjoint d'être les artisans de leur propre malheur.

Mais ces derniers sont convaincus que l'ancien propriétaire a caché les problèmes en les minimisant et en refusant de leur communiquer son rapport d'inspection, qui date de 2004.

Le couple entreprend donc des recours contre l'ancien propriétaire et sa conjointe. En juin 2001, l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) juge leur plainte recevable et consent à leur verser une indemnisation de 15 000$. Leur facture s'élevait alors à environ 45 000$. Le rapport de l'OACIQ blâme sévèrement l'ancien propriétaire, dont il qualifie les intentions de «malhonnêtes». «Malgré la gravité du problème, le courtier visé se limite à leur dire que l'immeuble a fait l'objet d'une culture de cannabis et que le sous-sol a été rénové, sans leur mentionner l'ampleur et la persistance des problèmes d'humidité et la contamination», peut-on lire dans le rapport.

Mme Boissonneault et son conjoint apprennent que l'ancien propriétaire a lui-même reçu, en 2006, des indemnisations de l'OACIQ pour des dommages qu'il n'a pourtant jamais déclarés.

Dans un rapport remis à l'OACIQ, que le couple a obtenu, l'ancien propriétaire rapportait même la mort de ses chatons.

Alertés par ces nouvelles révélations, Nadine Boissonneault et son conjoint font alors réaliser plusieurs analyses d'air pour déterminer les risques pour la santé.

Un hygiéniste de la Ville recommande finalement l'évacuation de la maison en février dernier, le temps de mener d'importants travaux de décontamination. Les parents et leur aînée souffraient alors régulièrement de rhinite.

Il y a quelques semaines, le couple a procédé à un dernier test d'air dans le sous-sol de la maison, devenu chantier. «Le test dénotait encore des traces de moisissures près de la porte-fenêtre. Nous avons dû arracher le plancher de la cuisine, qu'on avait remis à neuf en emménageant», soupire Mme Boissonneault.

La fin de ces travaux coïncide avec l'apparition d'une pancarte «À vendre» sur la pelouse. Le couple, échaudé, n'a plus trop envie d'habiter une maison désormais symbole de problèmes.

Il a toutefois bon espoir d'obtenir justice devant la Cour du Québec. Le couple réclame environ 45 000$, soit les sommes investies en rénovations.

De leur côté, l'ancien propriétaire et sa conjointe soutiennent qu'ils ont fait preuve de transparence. «On a mis toute l'information sur la table», plaide leur avocat, Me Benoit Aubertin. Il ajoute que les problèmes dénoncés n'ont rien à voir avec l'existence de la serre hydroponique, ce qui fait sursauter Mme Boissonneault. «Les problèmes de moisissures et la contamination du sous-sol y sont directement liés.»

Une autre histoire d'horreur

Des enfants jouent dans la cour d'école sous le soleil d'avril. De l'autre côté de la rue s'élève la maison de Nabil, à Brossard.

Il est actuellement au coeur d'une bataille juridique contre l'ancien propriétaire de la maison, coupable, selon lui, de lui avoir caché qu'une serre avait été aménagée au sous-sol en 2003.

Nabil lui réclame 22 500$ en dommages-intérêts, plus une réduction de 35 000$ du prix d'achat de sa maison, payée 175 000$ en 2005.

D'origine libanaise, Nabil venait alors de débarquer au pays. Il achetait sa première maison.

Il se souvient des quelques fissures aperçues au sous-sol lors de la visite avec l'agent d'immeubles. Aucun problème ou vice caché, coche le propriétaire dans sa déclaration. Nabil investit des milliers de dollars pour aménager le sous-sol et apprend ensuite qu'une perquisition avait été menée chez lui en avril 2003. L'ancien propriétaire avait loué la maison à un couple d'origine asiatique, qui y a entretenu une plantation de marijuana durant quelques mois.

Furieux, Nabil se tourne vers l'OACIQ et engage des poursuites contre l'agent immobilier, blanchi quelques mois plus tard. Il poursuit aussi l'ancien propriétaire. Ce dernier aurait d'abord nié l'existence de la plantation, mais Nabil dit avoir réussi à mettre la main sur un rapport de police qui fait état de sa rencontre avec des enquêteurs après la perquisition.

Mince consolation, les problèmes de moisissures ont été limités au sous-sol. «Je n'aurais jamais acheté, ou peut-être moins cher. Du moins, je n'aurais pas aménagé le sous-sol avant de découvrir le pot aux roses», peste Nabil.

«Je l'ai su d'une voisine»

Heureusement, tous les habitants d'anciennes serres hydroponiques ne vivent pas des histoires d'horreur. Bruce Nadon est de ceux-là. Le bungalow qu'il loue à Brossard a servi de serre en 2003. «Je l'ai su d'une voisine. Le nouveau propriétaire ne semblait même pas au courant, raconte le jeune homme. Il n'y a pas de problème de moisissures, sauf dans le garage.»

À un coin de rue de là, Lim Doré savait aussi, lorsqu'il a acheté sa maison, l'été dernier, qu'elle avait abrité une serre. «La maison avait été rachetée à la banque par l'agente immobilière, qui a tout refait à neuf», explique le jeune homme, qui a un peu utilisé le sombre passé de sa maison pour négocier son prix à la baisse. «Les rénovations ont coûté 130 000$. J'ai fait appel à un microbiologiste et il n'y a plus rien à signaler», résume le jeune propriétaire.