Deux ex-avocats et un ex-comptable qui avaient mis leurs talents au service d'un génie québécois du crime ont avoué hier leur participation à un complexe stratagème qui a permis de frauder le fisc de plus de 12 millions grâce à des compagnies coquilles installées dans divers paradis fiscaux.

Au terme de négociations serrées avec la Couronne, Ronald-André Comeau, Jacques Matte et Serge Perrier ont accepté de plaider coupable à des accusations de fraude et de recyclage des produits de la criminalité.

Comeau et Perrier ont aussi plaidé coupable à une accusation de gangstérisme, vu leur rôle plus important au sein de l'organisation criminelle démantelée par la Division de la lutte à la criminalité financière organisée de la Sûreté du Québec.

L'enquête ciblait l'homme d'affaires Ronald Chicoine, présenté comme un génie de la fraude et déjà condamné pour avoir trôné à la tête d'un système de fausses factures dans l'industrie de la construction, de fraude fiscale et de blanchiment d'argent. Chicoine opérait notamment à travers la compagnie de financement SPEEDO, spécialisée dans les prêts monétaires aux chauffeurs de taxi.

Comme l'a souligné le juge de la Cour supérieure André Vincent, à l'audience d'hier, ce système n'aurait pu fonctionner sans l'aide de «plusieurs professionnels», notamment l'ex-comptable Perrier et les ex-avocats Comeau et Matte.

Seul Perrier a reçu sa peine hier, ses coaccusés préférant faire leurs observations sur la peine à une date ultérieure. L'ex-comptable devra purger 3 mois de prison en plus des 52 mois auxquels il avait déjà été condamné après un premier volet de l'enquête.

L'enquête avait mené les policiers sur les traces de compagnies et de comptes bancaires installés dans des paradis fiscaux comme la Suisse, le Liechtenstein, les Bahamas et la microfédération de Saint-Christophe-et-Niévès, dans les Antilles.

Le modus operandi était celui de «l'autoprêt». Des compagnies coquilles installées dans les paradis fiscaux et contrôlées secrètement par Ronald Chicoine prêtaient des millions de dollars à SPEEDO, la compagnie québécoise de Chicoine.

Sous les apparences d'un emprunt tout à fait normal à l'étranger, Chicoine se prêtait en fait l'argent à lui-même. SPEEDO payait ensuite de lourds frais d'intérêt au «prêteur». Ces frais créés artificiellement étaient déductibles d'impôt en raison de mesures fiscales destinées aux compagnies canadiennes qui paient des intérêts à une société étrangère.

Le fait d'exploiter SPEEDO à partir de prêts consentis par ces coquilles aurait aussi permis à Chicoine de camoufler la provenance illicite d'une partie de l'argent injecté dans l'entreprise à la base, selon la police.

Le stratagème de l'«auto-prêt»

1. La compagnie SPEEDO disposait d'importantes sommes d'argent, notamment le fruit d'activités légales, mais aussi en partie gagnées grâce au crime.

2. Plutôt que de les déposer dans son compte en banque à la vue de tous, elle les faisait disparaître en les envoyant à une société «coquille» dans un paradis fiscal. Secrètement, cette coquille appartenait au dirigeant de SPEEDO.

3. La coquille prêtait ensuite des millions à SPEEDO. Les autorités l'ignoraient, mais le dirigeant se prêtait en fait de l'argent à lui-même.

4. SPEEDO, se prétendant endettée, payait une fortune en intérêts à la coquille. Les intérêts étaient en fait versés au dirigeant lui-même.

5. Grâce aux avantages fiscaux consentis aux sociétés canadiennes qui paient des intérêts aux entreprises étrangères, SPEEDO a pu frauder le fisc de plus de 12 millions.