(Ottawa) Au moment où des milliers de manifestants occupaient les rues autour de la Colline du Parlement à Ottawa, en février 2022, plusieurs d’entre eux ont immortalisé l’évènement en prenant des photos ou en filmant à l’aide de leur cellulaire.

Certains ont ensuite diffusé les images sur les médias sociaux.

Et plus d’un an plus tard, les avocats tentent d’utiliser ces messages numériques dans un tribunal conçu à l’ère analogique.

La deuxième semaine du procès de deux des organisateurs des manifestations d’Ottawa vient de s’achever. Les procédures ont été ralenties par la présentation des preuves provenant des médias sociaux, tant sur le plan juridique que sur le plan pratique.

Cette déconnexion reflète bien les problèmes subis par les procès se déroulant à l’ère des médias sociaux.

Par exemple, au cours du procès de Tamara Lich et de Chris Barber, la semaine dernière, on pouvait apercevoir plusieurs fils sur le sol de la salle du tribunal construite en 1986. Ils étaient connectés à de grands écrans installés près des ordinateurs portables des avocats qui tentaient de présenter des messages Facebook ou des vidéos diffusés sur TikTok. La juge Heather Perkins-McVey a même dû demander un moniteur encore plus grand pour pouvoir regarder plus de 90 preuves.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Tamara Lich

Un tel volume de preuves provenant des médias sociaux n’est pas habituel, même si la professeure de droit de l’Université Osgoode Hall, Lisa Dufraimont, dit qu’il s’agit d’un enjeu de plus en plus grand pour les tribunaux. La communication numérique gagne en importance.

Cela devient vraiment un problème de ressources pour les juges et les avocats.

Lisa Dufraimont

Pour le procès Lich-Barber, rassembler les vidéos a été la première étape. Il a fallu toutes les examiner afin de voir si elles étaient pertinentes à la cause. Cela a nécessité beaucoup de temps pour les procureurs et les avocats.

La Couronne a dû déterminer ce qu’elle comptait présenter devant le tribunal et fournir le même matériel documentaire à la Défense.

« On ne vous dit pas ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Cela nous prend du temps pour réviser le tout », mentionne Éric Granger, un des avocats de Tamara Lich, à propos des preuves numériques qui sont généralement présentées devant un juge.

La présentation de toutes ces preuves numériques risque de faire dérailler toutes les procédures, déplore la juge Perkins-McVey.

Au cours de la première semaine du procès, Diane Magas, l’avocate de Chris Barber, s’est efforcée de réduire le grand nombre de discussions provenant du cellulaire de son client pour ne présenter que celles qui seront utilisées devant le tribunal. Mais, quelques jours plus tard, l’avocate a à son tour déposé deux grands classeurs contenant des messages imprimés sur une table installée devant la juge, obligeant celle-ci à suspendre l’audience.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Chris Barber

Les règles pour admettre du contenu provenant des médias sociaux ont été écrites bien avant l’existence des documents numériques.

« Les cours préfèrent entendre un témoin sous la forme d’une personne vivante placée derrière la barre des témoins, qui peut raconter ce qu’il a vu », dit Me Granger.

Selon lui, les médias sociaux « entraînent les cours vers une partie plutôt compliquée du droit » concernant les preuves par ouï-dire ou de seconde main. De plus, les captures d’écran représentent un autre problème : sont-elles authentiques ou ont-elles été modifiées ?

Lorsqu’une preuve est admissible, les avocats et les procureurs doivent s’assurer que tous – particulièrement le juge – la comprennent bien.

« Pour comprendre comment une plateforme fonctionne, un juge peut avoir besoin de se le faire expliquer par un témoin », explique la professeure Dufraimont.

Et faire comprendre à une génération de juges, pour qui certains aspects de l’internet demeurent une énigme, comment cela fonctionne peut représenter un plus grand défi, reconnaît Me Granger.

« C’est un équilibre entre le besoin de faire bien comprendre cela et ne pas insulter le juge. »