«J'espère que le coupable sera retrouvé», souhaite Henri Provencher, le grand-père de Cédrika, alors que le 31 juillet 2017 marque les 10 ans de la disparition de sa petite-fille qui n'avait alors que neuf ans, une affaire qui a secoué le Québec et amené les policiers à changer leurs méthodes dans les cas d'enlèvements d'enfants.

L'enquête est toujours active, même après la triste découverte, en décembre 2015, du crâne de la fillette dans un boisé.

«Un dossier de meurtre, ce n'est jamais fermé. Jamais. Jamais», a martelé Guy Lapointe, porte-parole de la Sûreté du Québec (SQ).

Le 31 juillet 2007, la petite fille à la frimousse attachante n'est pas rentrée chez elle, à Trois-Rivières. Puis son joli visage s'est tristement retrouvé sur des affiches «Disparue» partout au Québec.

Cette affaire a touché les Québécois qui ont suivi chacun de ses soubresauts avec attention.

Il s'est écoulé huit ans et demi sans aucune trace de Cédrika. Puis, le 11 décembre 2015, des ossements sont retrouvés par des chasseurs dans un bois aux abords de l'autoroute 40 à Saint-Maurice, près de Trois-Rivières. Le lendemain, la Sûreté du Québec confirme ce que plusieurs soupçonnaient: ce sont ceux de Cédrika. La découverte mène à une immense battue dans les environs.

Durant 10 jours, plus de 200 policiers ont fouillé sans relâche le terrain où les restes humains ont été retrouvés. Il s'agit de l'un des plus grands déploiements policiers de l'histoire de la Sûreté du Québec. L'objectif était de ratisser le site le plus rapidement et efficacement possible, et de retrouver des indices avant l'arrivée de la neige.

Au terme des recherches, la SQ s'était dite satisfaite du travail accompli, sans préciser davantage.

L'enquête est toujours en cours, maintient la force policière provinciale qui ne veut souffler mot pour ne pas lui nuire. Aucune arrestation n'a été faite. «On avance beaucoup plus quand on n'en parle pas, que lorsque l'on en parle», soutient Guy Lapointe.

«Dans ce dossier-là, parce qu'il y a personne ou presque au Québec qui ne connaît pas ce dossier-là, même si on n'en parle pas, de façon ponctuelle, il y a encore des informations qui peuvent continuer à entrer, c'est surprenant», a-t-il expliqué.

Le 21 juin 2016, une trentaine de policiers sont revenus sur place pour effectuer des fouilles, près de l'endroit où les restes ont été découverts. La SQ avait alors affirmé qu'une «nouvelle information» recueillie par les enquêteurs était à l'origine de cette fouille.

Mais depuis cette date, plus rien.

Ce jour du 12 décembre 2015, la famille Provencher a dû abandonner ses espoirs de retrouver la fillette vivante. «Maintenant, le deuil peut commencer à se faire tranquillement», a écrit le lendemain le père de Cédrika, Martin Provencher, sur sa page Facebook.

Il n'a toutefois pas donné suite aux demandes d'entrevues de La Presse canadienne.

Fin août 2016, la famille a tenu des funérailles, en toute intimité.

Des critiques

Dix ans plus tard, Henri Provencher admet qu'il aurait aimé que les choses se passent différemment lorsque sa petite-fille a été portée disparue.

L'homme a constaté des lacunes au niveau du temps d'intervention de la police, de la prise de décision et des problèmes de communication entre les différents corps policiers, notamment parce que des informations données à l'un d'entre eux ont mis trop de temps à se rendre au chef de l'enquête, a-t-il confié en entrevue à La Presse canadienne plus tôt ce mois-ci.

«Il y avait beaucoup de pertes de temps. Si j'enlève un enfant, donnez-moi deux heures, moi, je suis passé les frontières, je suis rendu aux États-Unis.»

Selon lui, il faut que les parents soient conscients que les policiers font de leur mieux et il faut que les policiers comprennent que les parents ont le droit de tenter de trouver l'enfant.

«Moi, les recherches pour Cédrika, le pape m'aurait demandé d'arrêter, le premier ministre, le président des États-Unis m'aurait demandé d'arrêter, je ne l'aurais pas fait», laisse-t-il tomber.

Il refuse toutefois d'être trop sévère envers ceux qui ont travaillé sans relâche pour retrouver sa petite-fille.

«Les policiers ont fait des avancées incroyables», juge-t-il, tout en soulignant qu'il estime qu'il y a encore place pour des améliorations.

Ceux-ci déploient désormais leurs effectifs beaucoup plus rapidement, constate l'homme qui a mis sur pied la Fondation Cédrika Provencher, qui vise justement à conseiller et soutenir les familles mais aussi à développer de nouvelles façons de faire pour les recherches et pour améliorer la communication entre les proches et les policiers.

Après tout ce temps, il se souvient de la réponse des Québécois, qui sont venus en grand nombre pour les battues. Un sentiment de solidarité incroyable.

«Les gens se sont identifiés à elle et elle est devenue la fille de tout le monde», remarque Pina Arcamone, la directrice générale du Réseau Enfants-Retour.

Pour elle, le cas de Cédrika a réellement marqué un tournant dans le travail des policiers.

François Doré, un ancien policier de la SQ désormais à la retraite, convient que le déploiement des forces de l'ordre a été lent et que la police de Trois-Rivières a tardé avant d'impliquer la SQ.

«Aujourd'hui, c'est beaucoup plus rapide. Il y a beaucoup plus de personnes que ce qui a été fait à l'époque. Ça a changé de façon spectaculaire», a-t-il commenté en entrevue à La Presse canadienne.

«Parce qu'on s'est rendu compte que le temps compte beaucoup», ajoute-t-il. Histoire de ne pas donner le temps au criminel de trop s'éloigner de l'endroit où l'enfant a été enlevé, et de faire disparaître preuves et indices.

Il se rappelle aussi que le mot «enlèvement» n'a pas été soulevé rapidement. La police de Trois-Rivières parlait alors de «disparition».

«Il y a une marge entre disparition et enlèvement», dit-il. Et cela fait une différence au niveau de la structure de commandement mise en place, le déploiement des effectifs sur le terrain, la détermination des tâches de chacun, etc.

Les choses ont changé après le dossier de Cédrika, parce que beaucoup de gens ont posé des questions et s'en sont mêlés, avance celui qui était aussi porte-parole de la SQ quand la petite fille a été portée disparue.

Selon M. Doré, son cas a créé un sentiment d'urgence et son histoire «a soulevé les passions».

«Elle est devenue presqu'un symbole dans une cause sociale. Il fallait trouver cette enfant-là», résume-t-il.

Une commission a aussi été mise sur pied en 2012 pour revoir les méthodes policières - le comité provincial de coordination sur les disparitions et les enlèvements d'enfants - qui a mené à un rapport de la SQ et du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), puis à un guide d'enquête pour tous les corps policiers du Québec, qui devait permettre à chaque intervenant, préposés du 911, patrouilleurs et enquêteurs, de mieux connaître son rôle.

En 2017, la SQ refuse de discuter des changements apportés, pour ne pas nuire à ses méthodes d'enquête. Une demande d'accès à l'information dans ce but formulée par La Presse canadienne a été refusée pour ces mêmes raisons.

Les policiers avaient toutefois révélé en 2012 dans le cadre de leurs travaux qu'ils songeaient à mettre en place une alerte spécifique pour le Québec, qui serait déclenchée plus facilement que l'alerte Amber, bien connue des citoyens, mais dont les critères stricts font en sorte qu'elle n'est pas toujours lancée. Cette idée «d'alerte québécoise» ne s'est pas concrétisée.

L'alerte Amber n'avait pas été déclenchée dans le cas de Cédrika, car tous les critères n'étaient pas réunis: l'enfant doit avoir moins de 18 ans, être porté disparu et reconnu en danger par la police après enquête.

Celle-ci a toutefois été améliorée et est maintenant diffusée sur Facebook, Twitter et fait même sonner le téléphone portable des abonnés dès qu'elle est lancée, souligne Mme Arcamone. Sur Facebook, 90 000 personnes ont «aimé» la page «L'alerte Amber du Québec» et seront donc avisées sans délai.

Mais pour Cédrika, «ça a pris plusieurs heures, voire le lendemain matin, avant que la nouvelle de sa disparition ne soit diffusée», déplore-t-elle.

10 ans plus tard

Après toutes ces années, la plaie est encore vive, confie Henri Provencher.

Si un enfant est victime d'un accident, la famille sait que l'histoire a une fin, explique-t-il. Mais pas dans le cas d'un enlèvement. Les questions sont sans fin.

«Tu ne sais pas où est ton enfant, c'est l'enfer tous les jours. Tu te demandes où elle est, qu'est-ce qu'elle fait, qu'est-ce qu'on lui fait, est-ce qu'on en prend soin? Est-ce qu'on la maltraite?», énumère-t-il.

Pour lui, trouver le suspect va faire une différence.

«Ça va changer quelque chose, car dans la vie, tu es responsable de tes actes. La personne qui a fait ça est responsable de ses actes.»

Mais il y a plus: «Je ne veux plus qu'il y ait d'autre Cédrika et il y a juste ça qui m'anime».

Selon M. Doré, il est difficile de quantifier les chances de retrouver le coupable.

«Quelque part dans le temps, il y aura une conclusion. J'en suis sûr, et je le souhaite ardemment.»

Il n'est pas le seul: des policiers de la SQ ont longtemps gardé sur leur bureau la photo de Cédrika. Une motivation pour trouver le coupable, a-t-il raconté.

Mais la police n'accusera pas sur des hypothèses: des tonnes de soupçons, ça ne fait pas une once de preuve, met-il en garde.

«Mais il y a quelqu'un qui sait. Il manque un morceau du casse-tête, mais il est encore atteignable.»

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LE SUSPECT - description diffusée par la Sûreté du Québec (SQ)

• Homme blanc

• Entre 30 et 40 ans

• Cheveux châtains et de carrure moyenne

• L'individu s'exprime en français

• Lors de la disparition de Cédrika, il portait des sandales, un bermuda ainsi qu'une chemise à manches courtes ou encore un chandail

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LE VÉHICULE RECHERCHÉ


• Des éléments troublants restent en suspens, dont la fameuse voiture Acura rouge, avec des poignées chromées.

• Des témoins disent en avoir vu une, près du parc Chapais, à Trois-Rivières, à proximité duquel Cédrika a été aperçue pour la dernière fois.

• En novembre 2007, la Sûreté du Québec a confirmé être désormais certaine, hors de tout doute, qu'une Acura rouge a été impliquée dans l'enlèvement de la fillette. Les policiers n'ont toutefois pas précisé quel rôle a joué le propriétaire de la voiture dans la disparition de Cédrika.

• La SQ a procédé à une élimination des automobiles de marque Acura et de couleur rouge qui ne pouvaient se retrouver à Trois-Rivières à ce moment-là, a relate François Doré, policier à la retraite de la SQ, qui était à l'époque porte-parole de la force policière.

• La police en est finalement arrivée à cibler l'une de ces voitures et son propriétaire a refusé de se soumettre au test du polygraphe.

• Questionné à savoir pourquoi cet homme a été rencontré par les enquêteurs, M. Doré a répondu que «la voiture est un gros point, mais qu'il y a d'autres éléments aussi», et a refusé d'en dire plus.

• Aucune accusation n'a été portée contre lui et il n'a jamais été arrêté dans cette affaire.

• Ce dernier a depuis été accusé de pornographie juvénile. Des gens croient toutefois qu'il a pu jouer un rôle dans la disparition de Cédrika et plusieurs ont manifesté avec grand bruit lors de sa comparution en août 2016 au palais de justice de Trois-Rivières.

• Il fait face à six chefs d'accusation pour possession et distribution de pornographie juvénile entre 2009 et 2013.