À 17h tapant, le juge Cournoyer est entré dans la salle d'audience 4.11 du palais de justice de Montréal. «Le jury est prêt», a dit le magistrat. Une phrase qui était attendue depuis 11 jours. Les jurés en étaient finalement venus à un consensus: Richard Henry Bain est responsable de la mort de Denis Blanchette, qu'il a abattu le soir du 4 septembre 2012.

Tout indiquait que les délibérations allaient se prolonger pour une 12e journée jusqu'à ce qu'en fin d'après-midi, mardi, les membres du jury demandent une deuxième pause; une requête inaccoutumée. Puis, l'avocat de Bain - qui s'était rapproché des journalistes réunis devant la porte de la salle d'audience - a reçu un coup de téléphone lui signifiant qu'une enveloppe serait déposée par le jury et que son client serait conduit dans la salle. Après 11 jours de délibérations, ça y était.

Une annonce confuse

Les sept femmes et cinq hommes composant le jury sont entrés dans la salle par la porte arrière. Les mines étaient basses, les regards, fatigués. Depuis une semaine et demie, ils étaient coupés du reste du monde et avaient la lourde tâche de déterminer dans quel état mental se trouvait Richard Henry Bain lorsqu'il a ouvert le feu au Métropolis, où des membres du Parti québécois célébraient la victoire de leur chef Pauline Marois.

Lorsque la greffière a demandé au président du jury de prononcer le verdict pour les quatre accusations, il a répondu «non coupable» pour le meurtre de Denis Blanchette, puis «coupable» pour les trois accusations de tentative de meurtre, semant la confusion dans la cour, et probablement dans la tête de l'accusé.

«Quand j'ai entendu "non coupable", j'ai eu l'espoir qu'il serait déclaré non criminellement responsable. J'y ai cru jusqu'à la fin.» - Me Alan Guttman, avocat de la défense

Or, le président du jury était confus et voulait plutôt dire que Bain était non coupable de meurtre prémédité, mais que le jury le jugeait coupable du meurtre non prémédité de Denis Blanchette. La greffière a ensuite demandé tour à tour aux 11 autres jurés leur verdict. Certains avaient la gorge nouée, d'autres, la voix faible. Mais tous ont répondu «coupable».

Durant le procès, la défense plaidait la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, alors que la Couronne plaidait le meurtre prémédité. Les jurés ont finalement reconnu l'accusé coupable de meurtre non prémédité.

«Denis pourra reposer en paix»

Le soir où Richard Henry Bain a tiré avec son CZ858 sur Denis Blanchette et Dave Courage, Gael Ghiringhelli a perdu «un frère». Voilà presque quatre ans qu'il attendait que justice soit faite. Tous les jours du procès, il s'est assis dans la salle 4.11, en attendant de connaître le sort qui serait réservé à celui qui ce soir-là «se croyait investi d'une mission de Dieu».

«Je m'attendais au mot "préméditation". C'était le cas, je pense», a calmement témoigné le technicien. «Le jury a fait acte de sagesse. [...] Je crois que Bain lui-même ne sait pas de quoi il retourne dans son cerveau. Mais on a redoré l'image de la justice au Canada. Denis pourra reposer en paix.»

Présente le soir du drame comme technicienne en éclairage, Audrey Dulong Bérubé a vu Dave Courage s'effondrer à ses pieds. Avec M. Ghiringhelli, elle l'a tiré vers le monte-charge pour le mettre à l'abri. «J'ai traversé beaucoup d'épreuves suite à cet évènement traumatisant, a confié Mme Dulong, mardi soir. Ma seule déception est que le verdict soit de meurtre non prémédité et non de meurtre prémédité. J'ai une pensée pour Denis, sa fille et sa famille ainsi que pour Dave et mes collègues qui ont subi ce drame avec moi.»

Ni Pauline Marois ni le chef par intérim du Parti québécois n'ont voulu commenter le verdict.

Bain remercie son avocat

Dans le box des accusés, Richard Henry Bain était stoïque, calme ; à des lieues de l'image de l'homme en robe de chambre, bonnet de bain sur la tête et menottes aux mains - ce fameux soir où, armé d'un fusil semi-automatique, il avait pour plan de «tuer le plus de séparatistes possible», comme il l'avait confié à sa psychiatre dans une lettre déposée en preuve durant le procès.

Au terme du prononcé du verdict, Bain s'est levé et s'est approché de son avocat pour le remercier, lui envoyant un regard de gratitude avant de reprendre le chemin de la prison.

«Il était content. Il s'attendait à un verdict de meurtre au premier degré», a dit Me Guttman, avouant que lorsqu'il a consenti à prendre la cause de Bain, il a du même coup accepté de relever le plus grand défi de sa carrière.

«Au début, c'était juste un paquet de troubles, un vrai fouillis. [...] J'ai fait de mon mieux, je n'ai aucun regret. Le jury a le dernier mot», a dit Me Guttman, ajoutant qu'il était trop tôt pour dire s'il ferait appel de ce verdict. Il demandera la peine minimale de 10 ans d'emprisonnement avant possibilité de libération et s'attend à ce que la Couronne demande le maximum de 25 ans.

«Richard Henry Bain s'est attaqué à des techniciens de scène, à des citoyens. Il s'est aussi attaqué à la démocratie. C'est quelque chose que la position sur la sentence va refléter.» - Dennis Galiatsatos, procureur de la Couronne

Le procureur aux poursuites criminelles et pénales attendra au 6 septembre, date du retour en cour des parties, pour donner sa position sur le verdict et la peine que la Couronne demandera. Il s'est toutefois dit satisfait du verdict et espère que les victimes le sont tout autant.

11 jours éprouvants

Le jury avait la tâche complexe de statuer sur l'état d'esprit de Bain le soir du 4 septembre 2012. Il devait déterminer s'il était «plus probable qu'improbable» que M. Bain ait été incapable de distinguer le bien du mal lors de la fusillade. À lire les visages des membres du jury assis dans la salle, mardi après-midi, il était indéniable que ces 11 jours de délibérations, d'argumentations et de remises en question avaient été éprouvants pour les 12 personnes issues du public appelées à jouer un rôle juridique de si haute importance.

«Je suis conscient de l'ampleur de ce qui vous est demandé et il serait inapproprié de ne pas vous remercier, a déclaré, d'un ton senti, le juge Guy Cournoyer à l'endroit des membres du jury. Ce fut sûrement beaucoup plus difficile que ce que vous deviez imaginer, je vous remercie de votre sérieux et de votre travail difficile.»

Un mandat dont la lourdeur émotive se lisait dans les larmes qui coulaient sur les joues de deux jurés.

- Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse

ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Dave Courage au palais de justice de Montréal en juin dernier. 

Le verdict en cinq questions

QU'EST-CE QU'UN MEURTRE NON PRÉMÉDITÉ ? Les 12 membres du jury se sont entendus hier sur le fait que Richard Bain avait commis un meurtre non prémédité, ainsi que trois tentatives de meurtre, en attaquant le Métropolis le soir de la victoire péquiste de septembre 2012. Un meurtre non prémédité est un homicide - un individu qui en tue volontairement un autre - qui ne répond pas aux critères du meurtre prémédité. Pour juger un accusé coupable de ce crime gravissime, le jury doit être unanimement convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait prémédité son geste. Si ce n'est pas le cas, il peut se replier sur le meurtre non prémédité.

QU'EST-CE QUI A PU FAIRE PENCHER LE JURY ? Les 12 jurés ont écarté la défense de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux, « mais ça ne nettoie pas complètement l'ardoise », rappelle le criminaliste Jean-Claude Hébert. « L'état mental troublant de M. Bain a pu jouer sur la question de savoir s'il avait oui ou non une intention préméditée de vouloir tuer. » Le fait qu'il soit passé à l'attaque en robe de chambre bleue et le fait qu'il n'ait pas utilisé toutes les armes à sa disposition ont pu faire douter le jury. « Il y avait matière à doute qu'il avait la capacité mentale de bien préméditer son geste comme quelqu'un qui commet son meurtre de sang-froid », a ajouté Me Hébert.

COMBIEN DE TEMPS RICHARD BAIN PASSERA-T-IL EN PRISON ? Le juge Guy Cournoyer et les avocats des deux côtés du prétoire ont convenu de se revoir le 6 septembre, pour les plaidoiries sur la peine. Comme le jury a retenu l'hypothèse du meurtre non prémédité, M. Bain sera automatiquement condamné à la prison à perpétuité. Reste à déterminer après combien d'années il sera admissible à une libération conditionnelle : le Code criminel prévoit que ce délai ne peut être inférieur à 10 ans ni dépasser 25 ans. Alan Guttman, avocat de M. Bain, a déjà annoncé son intention de demander le délai minimal. Une admissibilité à une libération conditionnelle n'implique pas forcément une libération.

POURQUOI DES DÉLIBÉRATIONS SI LONGUES ? Ce n'est qu'à la fin de leur 11e journée de délibérations que les membres du jury en sont arrivés à un verdict unanime - condition sine qua non pour l'annoncer à l'accusé. Il est bien possible que le groupe, divisé, ait choisi le meurtre non prémédité pour dénouer une impasse, comme un compromis, selon Me Hébert. « Ce sont des choses qui se produisent, a-t-il dit en entrevue. À un moment donné, il y a toujours des gens qui cherchent des compromis. Et quand vous avez plusieurs verdicts possibles, c'est plus facile de trouver un terrain intermédiaire. »

POURQUOI PAS D'ACCUSATION D'ACTE TERRORISTE ? Richard Henry Bain a commis ses crimes au Métropolis, un lieu précisément choisi en raison du rassemblement de membres et de partisans du Parti québécois pour célébrer la victoire électorale. « Les Anglais se réveillent », avait-il crié. Deux mois plus tard, il avait confié à sa psychiatre que son plan était de « tuer le plus de séparatistes possible ». Si la Couronne soutenait durant le procès que Bain était animé d'une rage fanatique envers les souverainistes québécois, le procureur de la Couronne a rappelé, hier, qu'il ne pouvait pas justifier pourquoi des accusations de terrorisme n'avaient pas été déposées contre Bain, puisque ce n'était pas lui qui était responsable du dossier au moment du dépôt des accusations. « Je suis à l'aise avec ce qu'on a présenté », a-t-il simplement dit.

- Par Philippe Teisceira-Lessard et avec Audrey Ruel-Manseau