Le chef du Service de police de Laval, Pierre Brochet, interpelle le ministère de la Santé et des Services sociaux - responsable des centres jeunesse - sur le « problème » des « portes déverrouillées » aux centres jeunesse, ce qui permet aux fugueuses chroniques exploitées sexuellement de retourner dans les bras de leur proxénète à la première occasion. En effet, la loi interdit à ces mêmes centres de priver de liberté leur clientèle, sinon dans de rares cas.

« Un moment donné, on a le mandat de protéger ces jeunes filles-là. À 13 ans, 14 ans, 15 ans, on ne peut pas les laisser entrer et sortir comme elles veulent quand on sait qu'elles se retrouvent dans des situations très précaires pour leur sécurité. C'est le gros bon sens », a dit le chef de police de Laval, vendredi, en entrevue à La Presse.

Rappelons que quatre adolescentes du Centre jeunesse de Laval ont fugué depuis une semaine. Trois ont été retrouvées depuis grâce à la médiatisation de leur disparition.

Même si les policiers consacrent beaucoup d'énergie à retrouver les jeunes fugueuses exploitées sexuellement, ils se sentent parfois impuissants en raison du changement à la loi - datant de 2007-2008 - visant à limiter le plus possible les privations de liberté des jeunes hébergés en centre jeunesse.

« Imaginez ce que ça représente comme travail pour les enquêteurs qui mettent des efforts pour retrouver une fille une fois, deux fois, trois fois », explique le chef Brochet. 

« Ils savent que la jeune fille se trouve avec un proxénète. Ils la retrouvent, et le mois suivant, elle est encore en fugue. Un moment donné, il faut trouver une façon d'arrêter ce cycle-là », ajoute-t-il.

Le directeur de police donne l'exemple récent d'une adolescente d'à peine 13 ans qui a fugué neuf fois du centre jeunesse de Laval en un an. « On avait l'information qu'elle était victime de traite de personnes. Le problème, c'est que chaque fois, nos enquêteurs travaillaient à la retrouver, la ramenaient au centre, mais elle ressortait toujours. C'est un problème sans fin », insiste le chef Brochet.

Si la jeune fille accepte de porter plainte, « c'est sûr qu'on va mettre tous les efforts pour faire l'enquête rapidement et faire accuser son pimp », explique le chef de police. Sauf que les filles portent rarement plainte. « C'est beaucoup d'énergie, ces dossiers-là, et souvent les résultats ne sont pas nécessairement là », déplore-t-il.

Les victimes sont souvent en amour avec leur proxénète. Et lorsqu'elles se décident à porter plainte, elles sont découragées par le système judiciaire plombé par les délais, souligne le chef de police. « C'est vraiment notre principal défi, que non seulement les victimes portent plainte, mais qu'elles se rendent jusqu'à la fin du processus judiciaire », dit le chef de police.

Encore récemment, un proxénète lavallois a été acquitté parce que la victime avait retiré sa plainte en plein procès, illustre-t-il. Autre embûche : lorsqu'un proxénète est remis en liberté en attendant son procès, cela multiplie les risques qu'il intimide sa victime et la force à retirer sa plainte.

Accuser et faire condamner un proxénète n'est pas chose facile, confirme une source, qui nage dans ces dossiers depuis des années. « Généralement, on retrouve la victime, elle fait une déclaration vidéo à un enquêteur et elle lui raconte tout. Si le pimp n'est pas arrêté dans les heures qui suivent, il va la retrouver et elle ne va plus vouloir témoigner ou elle va tout nier en bloc. Pour aller au tribunal, les policiers vont donc devoir corroborer chaque élément de son témoignage. Cela représente des mois d'enquête », souligne notre source.

Des mois de travail, au moment où les ressources financières pour ce type d'enquête se font de plus en plus rares, estime cette personne. « En 2011, il y a eu une mobilisation générale sur les gangs de rue et la traite de personnes. C'était gros, il y avait des ressources. Maintenant, il y en a beaucoup moins. Ces dossiers font peur, parce qu'ils sont lourds et longs. »

UN ENJEU DE TAILLE

L'an dernier, la police de Laval a ouvert 13 dossiers d'enquête de proxénétisme et de traite de personnes (victimes mineures et majeures confondues). De ce nombre, cinq dossiers se sont soldés par des accusations de traite de personnes. Dans six autres, faute de victimes prêtes à porter plainte, les proxénètes ont été inculpés d'autres accusations, notamment possession d'arme ou vente de drogues, mais pas de traite de personnes. Dans les deux derniers cas, aucune accusation n'a été portée.

Dans les cas récents des trois jeunes filles disparues du centre jeunesse qui ont été retrouvées (une autre manque toujours à l'appel), aucune arrestation n'a été faite, indique M. Brochet.

La police de Laval ne considère pas qu'elle manque de ressources pour lutter contre les proxénètes. Ce sont les policiers de l'escouade des crimes majeurs qui sont chargés d'enquêter sur les cas d'exploitation sexuelle, ce qui s'ajoute à leurs tâches d'enquête sur les meurtres et autres crimes graves contre la personne. « Mais évidemment, si on ajoute des ressources, on pourra mettre plus de pression », dit le chef de police.

« L'enjeu n'est pas là. Même si j'augmentais les ressources, si les fugueuses chroniques continuent de fuguer, on a un problème », soutient M. Brochet.

Pour inciter plus de jeunes filles à porter plainte, la police de Laval fonde beaucoup d'espoirs dans le programme Les Survivantes, qui a fait ses preuves à Montréal. Dans le cadre de ce projet, deux agentes communautaires rencontrent les jeunes filles à leur retour d'une fugue. Elles travaillent de concert avec d'anciennes prostituées qui aident les adolescentes exploitées à s'en sortir.

À LAVAL EN 2015

> 13 dossiers d'enquête de proxénétisme et de traite de personne (victimes mineures et majeures confondues)

> De ce nombre, 5 dossiers se sont soldés par des accusations de traite de personnes

> 6 autres se sont soldés par d'autres accusations, notamment possession d'arme ou vente de drogues, mais pas de traite de personnes

> Dans les 2 derniers cas, aucune accusation n'a été portée.

Source : Service de police de Laval

Cas de disparition au Québec: les fugues de jeunes en tête

Sur les quelque 5700 cas de disparition signalés annuellement au Québec, plus de 5000 concernent des jeunes en fugue.

C'est ce que souligne Enfant-Retour Québec, qui est impliqué dans le dossier des fugues survenues depuis une semaine au Centre jeunesse de Laval.

La directrice générale de l'organisme, Pina Arcamone, souligne que, malheureusement, un certain pourcentage de jeunes filles en fugue deviennent victimes d'exploitation sexuelle, souvent leurrées par les gangs de rue.

Mme Arcamone explique qu'Enfant-Retour accompagne les parents dans ces épreuves et collabore avec les corps de police dans leurs enquêtes.

Les informations concernant les fugues du Centre jeunesse de Laval ont été diffusées par l'organisme. De l'aide psychologique a également été offerte aux parents.

Pina Arcamone se réjouit que trois des quatre adolescentes qui se sont enfuies cette semaine aient été retrouvées saines et sauves. Seule Sarah Hauptman, 16 ans, manque toujours à l'appel.

Les parents de Sarah ont imploré le gouvernement de changer les lois pour mieux protéger les jeunes dans les centres jeunesse.

- Avec La Presse Canadienne

De dangereux proxénètes québécois

Marty Antoine

Ce proxénète montréalais de 33 ans se fait appeler « Fata ». Il a commencé sa « carrière criminelle » au début de l'âge adulte. En 2008, il a participé à un réseau criminel qui exploitait des jeunes filles - notamment des fugueuses - de 12, 13 et 14 ans. Il avait alors écopé cinq ans de prison. Dès qu'il a recouvré sa liberté, il a récidivé. Il a forcé des Montréalaises - âgées de 19, 20 et 26 ans - à se prostituer 24 heures sur 24 pendant plusieurs jours d'affilée en les gavant d'amphétamines. Cette fois-ci, le juge a été plus sévère, allant même jusqu'à le traiter de « parasite ». « Un parasite, c'est quelqu'un qui vit aux dépens d'autrui, de la société, et c'est exactement ça ici », lui a dit le juge Thierry Nadon en décembre dernier avant de l'envoyer à l'ombre pour les neuf prochaines années.

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Marty Antoine

Evgueni Mataev

Evgueni Mataev avait fait de Sandy (nom fictif) sa « gangsta bitch ». Il la traitait comme son esclave sexuelle. Un soir, furieux qu'un homme ait eu une relation sexuelle avec « sa bitch » sans payer, le proxénète a poignardé l'individu au cou. Le mois dernier, le proxénète de 42 ans à la longue feuille de route criminelle a été déclaré délinquant dangereux à Montréal. Cette peine - assez rare - fait en sorte qu'il restera en prison pour une durée indéterminée. Son cas sera réévalué après sept ans de pénitencier par les services correctionnels. Si le délinquant est toujours considéré violent, il n'obtiendra pas sa libération.

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Evgueni Mataev

Jahmane Bolton

Dans le milieu du rap québécois, Jahmane Bolton est connu sous le nom de Frost. Il a d'abord séduit sa victime pour ensuite la faire travailler dans les bars de danseuses de la région de Montréal où elle a été forcée de se prostituer. Le calvaire de la jeune femme a duré trois ans et demi. « Il s'est avéré un remarquable manipulateur », a dit un juge au moment de l'envoyer en prison pour quatre ans en janvier 2014. Il faisait travailler sa victime six ou sept jours par semaine, de 16 h à 3 h du matin, alors que lui menait un train de vie princier. Il vivait dans un condo au centre-ville dont le loyer s'élevait à 4400 $ par mois. La jeune femme lui rapportait jusqu'à 2800 $ par semaine. Il la battait lorsqu'elle n'obéissait pas à ses demandes. Il l'a même séquestrée durant deux jours avant qu'elle ne parvienne à s'enfuir chez une voisine pour alerter les autorités.

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Jahmane Bolton