Sébastien Nadreau n'en veut pas au policier qui a abattu son frère. Mais après quatre morts engendrées par des balles policières en moins d'un an à Montréal, il pense qu'il est temps de revoir les protocoles d'intervention pour les appels de détresse.



«Mon frère n'était pas un criminel, c'est quelqu'un qui, à ce moment-là, avait besoin d'aide et, actuellement, les policiers ne sont pas équipés pour apporter le type d'aide nécessaire», a expliqué Sébastien Nadreau, que La Presse a rencontré hier dans un restaurant de Montréal. «Je n'ai aucune colère, je suis triste pour le policier qui a tiré. Lui aussi, c'est un humain, il a une famille. Il n'y a personne qui peut se sentir bien d'abattre quelqu'un.»

Jeudi matin dernier, un groupe de policiers a été dépêché dans un appartement du quartier Hochelaga-Maisonneuve pour répondre à un appel de suicide. Jean-François Nadreau, 30 ans, a été atteint d'au moins un projectile au thorax après avoir foncé vers les policiers avec une machette.

Sébastien Nadreau n'était pas présent au moment du drame, mais il a discuté avec l'amie de coeur de son frère et une amie, les deux témoins qui ont assisté à la scène.

Il raconte que Jean-François traversait un moment difficile depuis environ deux mois, qu'il prenait des médicaments pour gérer ses problèmes d'angoisse. La veille de la tragédie, il avait bu de l'alcool et consommé de la cocaïne, ce qui n'était pas dans ses habitudes, dit-il. Vers 3h, dans la nuit de mercredi à jeudi, Jean-François serait sorti prendre l'air. Quand il est rentré, tout a dégénéré.

«Lorsqu'il est revenu, sa copine a constaté un changement draconien dans son comportement. Elle m'a dit: "Je ne le reconnaissais pas, je ne l'ai jamais vu comme cela; il pleurait." Mon frère est allé se réfugier dans la salle de bains, puis il a commencé à se faire des mutilations. J'étais proche de mon frère et ce n'est jamais arrivé, des choses comme ça.»

L'amie de coeur de Jean-François Nadreau a alors composé le 911. «Lorsque les policiers sont arrivés, il a pris sa machette et il s'est mis à hurler. Il a avancé un peu vers les policiers. Ça s'est passé tellement vite! Les policiers ont tiré.»

En décembre dernier, Jean-François Nadreau a été arrêté dans un bar où il aurait eu une dispute avec un homme qui harcelait une de ses amies. Les portiers l'ont expulsé et il a sorti un pistolet électrique miniature de sa poche, une arme qu'il n'a cependant pas utilisée. Il a plaidé coupable à une accusation de possession d'arme prohibée. Sébastien Nadreau raconte que son frère n'a pas été agressif envers les policiers, mais qu'il s'est senti injustement puni, car il avait tenté de défendre son amie. «Il était très conscient qu'il avait fait une niaiserie», souligne son frère, qui estime que ce mauvais souvenir impliquant des policiers, ses problèmes d'angoisse et le cocktail d'antidépresseurs, d'alcool et de drogue ont fait «paniquer» son frère le matin de sa mort.

«Je ne suis pas policier, mais c'est sûr que d'utiliser un fusil, dans ce genre de situation-là, ce n'est pas adéquat, vraiment pas. Je pense qu'ils étaient cinq agents. Ils auraient peut-être dû intervenir autrement.»

En juin dernier, Mario Hamel, sans-abri de 40 ans, armé d'un couteau et dans un état de détresse psychologique, a péri sous des balles policières au centre-ville. Patrick Limoges, employé de l'hôpital Saint-Luc, a également été atteint d'une balle perdue alors qu'il se rendait à son travail. En janvier, Farshad Mohammadi, sans-abri kurde-iranien, a été abattu dans le métro de Montréal lors d'une opération policière. Il souffrait de troubles mentaux.

«Je ne veux pas que mon frère devienne un exemple de brutalité policière parce que ce n'est pas le cas, soutient Sébastien Nadreau. Cependant, il y a eu une série d'événements au Québec, dans la dernière année, qui fait que l'on doit se poser des questions.»

Ses dernières nuits, sans sommeil en raison de la douleur, l'ont poussé à réfléchir à des solutions. «Lorsqu'on appelle au 911, les employés de la centrale sont rapidement capables d'analyser la situation et d'envoyer le bon service, que ce soit la police, l'ambulance ou les pompiers. Peut-être qu'il faudrait maintenant créer une quatrième catégorie: des policiers-psychologues ou des ambulanciers-psychologues. Je n'ai pas la réponse exacte, mais les ressources sont clairement inadaptées.»

Jean-François Nadreau était père d'une fillette de 8 ans et il fréquentait son amie de coeur depuis un an. Il travaillait dans une entreprise de réinsertion sociale spécialisée en informatique.

«Nous sommes capables de mettre en place des mesures pour ne plus que ça arrive. Ma nièce n'a plus de père, sa blonde a perdu l'homme de sa vie, moi, je n'ai plus de frère, mon père n'a plus de fils. Ce n'est pas une vie qui est détruite, ce sont plusieurs vies qui sont anéanties.»