L'entrepreneur Construction Généphi vient de déposer une poursuite de 5,3 millions contre la Ville de Montréal en ciblant l'inspecteur général qui a publié un rapport dévastateur à son endroit en 2017, ce qui a conduit à la «résiliation illégale et abusive» d'un important contrat.

Dans sa demande introductive d'instance déposée en Cour supérieure le 1er mars, le propriétaire de Généphi, l'ingénieur Daniel Lefebvre, estime ne pas avoir été entendu ni avant ni après la résiliation de son contrat relativement à des travaux au parc-nature du Bois-de-l'Île-Bizard. Il n'a donc pu présenter «une défense pleine et entière».

M. Lefebvre soutient que le Bureau de l'inspecteur général (BIG) n'a pas tenu compte de ses explications sur ses liens avec un sous-traitant lors de son enquête. «Le BIG a préféré en faire fi et a conclu à tort que la nature juridique de l'entente entre Généphi et Congeres en était une de coentreprise ou de consortium», peut-on lire dans la poursuite.

«Justice spectacle»

Lorsque le couperet est tombé, M. Lefebvre a rapidement contesté la décision du BIG, qui, selon lui, était «basée sur un amalgame d'éléments circonstanciels assemblés aux fins de soutenir une thèse préétablie». Mais «la Ville a refusé et négligé de prendre connaissance des motifs de contestation et éléments de preuve rapportés par Généphi», souligne la poursuite.

Joint hier, Daniel Lefebvre est en colère, mais également déçu des façons de faire du BIG. «C'est rendu de la justice spectacle. Ils sont en train de condamner des gens, de se trouver des coupables pour justifier leur présence.»

Depuis la résiliation de son contrat, Généphi n'a eu aucun mandat. Son autorisation pour conclure des contrats avec des organismes publics délivrée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) «est en péril» et les compagnies de cautionnement se retirent des projets, mentionne M. Lefebvre. «Je suis devenu, par personne interposée, un risque réputationnel. Je ne suis accusé de rien. Je n'ai pas fait de fraude, mais c'est comme ceux qui ont témoigné à la commission Charbonneau : vous avez beau ne pas être coupable, vous êtes soupçonné puisqu'on vous a interrogé», affirme-t-il.

Un paravent, selon le BIG

Daniel Lefebvre et son entreprise réclament un paiement pour des dommages qu'ils auraient subis : travaux exécutés (2,9 millions), frais de démobilisation du chantier (155 000 $), profits anticipés de 10% (500 000 $), perte d'opportunités d'affaires (1 million), dommages moraux à l'entreprise (50 000 $), dommages punitifs (500 000 $) et 200 000 $ pour les dommages moraux et des préjudices non pécuniaires pour M. Lefebvre.

Jusqu'à maintenant, la Ville de Montréal a refusé de payer Généphi pour les travaux exécutés, estimant que le préjudice subi par la municipalité serait plus élevé que les sommes réclamées par Généphi.

En septembre dernier, le BIG avait résilié le contrat attribué à Généphi parce qu'il disait que l'entreprise avait servi de paravent à l'entreprise Congeres dirigée par Pascal Patrice. Ce dernier avait alors son procès pour fraude dans le scandale du Faubourg Contrecoeur.

En 2014, Généphi et Congeres ont signé une entente de coentreprise afin de décrocher un contrat du ministère des Transports. Selon Daniel Lefebvre, cette entente n'était pas valable pour le contrat à Montréal.

Dans son rapport d'enquête, le BIG soulignait toutefois que «la relation va bien au-delà de la simple sous-traitance».

En effet, le BIG a retenu que Congeres a dirigé le chantier, sélectionné les sous-traitants, participé aux réunions avec la Ville de Montréal au nom de Généphi et a comptabilisé les dépenses. Ces éléments démontreraient, selon l'enquête du BIG, que Généphi a transmis de faux renseignements puisque Congeres devait être considérée comme soumissionnaire.

Pour Daniel Lefebvre, tout cela n'est que pure interprétation et «inférences tendancieuses». 

«Contrairement aux prétentions du BIG, il n'y avait aucun stratagème ni tentative de contourner quelque exigence légale ou contractuelle que ce soit», peut-on lire dans la poursuite.

Mauvaise évaluation

Le BIG a démarré son enquête à la suite de deux plaintes reçues au cours de l'automne 2016. Au même moment, des difficultés sont apparues sur le chantier qui visait la reconstruction de belvédères, de passerelles et de sentiers dans le parc-nature du Bois-de-l'Île-Bizard.

Il semble qu'une mauvaise évaluation géotechnique relative à la profondeur du roc (responsabilité d'un consultant embauché par la Ville) soit venue modifier la séquence des travaux et les méthodes déployées. Le coût du projet a également augmenté, tout comme le rôle de Congeres.