Malgré ses fonctions de maire de Châteauguay, l'avocat Pierre-Paul Routhier représente un conseiller municipal dans un dossier qui l'oppose à sa propre municipalité, la Ville de Châteauguay.

Le maire Routhier agit comme avocat auprès du conseiller municipal Michel Gendron, qui est poursuivi en destitution par la Ville de Châteauguay. Il a hérité du dossier avant d'être élu à la mairie en novembre dernier.

MM. Routhier et Gendron sont des amis qui militent côte à côte dans le même parti politique. Michel Gendron a été réélu en novembre dernier sous la bannière de Vision Châteauguay dont le chef est Pierre-Paul Routhier.

Les frais d'avocat de M. Gendron sont déboursés par la Ville. C'est donc dire que les honoraires de Me Routhier sont payés par Châteauguay. Il en va de même pour l'adversaire de Me Routhier, qui défend les intérêts de Châteauguay, Me Armand Poupart. Joint hier, Me Poupart a refusé de faire des commentaires, se bornant à dire que c'est à son collègue « de décider s'il veut continuer ou non à représenter M. Gendron ».

De son côté, le maire-avocat ne voit aucune « entorse déontologique » à sa situation. La question l'a même fait rire lorsque La Presse l'a joint vendredi soir dernier. 

M. Routhier a dit que de voir un désordre dans ses différents rôles ou l'apparence d'un conflit d'intérêts, « c'est à la limite farfelu ».

L'ordre professionnel des avocats, le Barreau du Québec, refuse de se prononcer. Tout au plus a-t-on rappelé l'existence du code de déontologie qui guide les avocats. Ce code comporte certains articles concernant les conflits d'intérêts, dont l'un s'intéresse particulièrement à l'avocat qui occupe une fonction publique. Cet avocat doit éviter « de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et les obligations de ses fonctions », peut-on lire.

Pierre-Paul Routhier a expliqué que le dossier lui tient à coeur et que son travail permettra d'éclaircir un point de droit qui bénéficiera à l'ensemble des élus municipaux au Québec. La Cour d'appel doit entendre la cause en avril prochain.

« Dans l'affaire Gendron, j'aurai ma toge. Je serai présent devant la Cour d'appel mais c'est une de mes consoeurs qui va faire les représentations. Si elle a besoin d'aide, je vais l'alimenter puisque c'est moi qui ai représenté M. Gendron en première instance », a indiqué Me Routhier.

LE PROBLÈME DE FOND

Le problème de fond prend ses origines dans la déclaration d'intérêts pécuniaires incomplète du conseiller municipal Michel Gendron, faite en 2014. M. Gendron a reconnu être le propriétaire de l'entreprise Gestion Mike Gendron, mais il refuse de dévoiler quels sont les immeubles qui appartiennent à l'entreprise.

La Ville, sous l'ancienne administration de la mairesse Nathalie Simon, avait immédiatement réagi en mettant de l'avant les questions d'éthique et de transparence pour donner l'heure juste aux citoyens de Châteauguay. La crainte était que des élus puissent cacher des propriétés derrière des entreprises, compliquant d'autant la gestion de dossiers de changement de zonage, par exemple. La Cour supérieure a donné raison à la municipalité mais M. Gendron, sous les conseils de son avocat, Me Routhier, a décidé d'en appeler.

« Il n'y a rien dans la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités qui dit qu'un élu doit déclarer les immeubles qui sont la propriété d'une compagnie dans laquelle il peut être impliqué », a soutenu Me Routhier, qui souhaite que la question soit tranchée. « La Cour d'appel doit régler ça une fois pour toutes. »

CONTRE SAINT-CONSTANT

Outre ce dossier, Pierre-Paul Routhier représente l'ancien maire Gilles Pepin dans un procès qui l'oppose à la Ville de Saint-Constant. En 2013, M. Pepin a été arrêté par l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et accusé notamment d'abus de confiance. Deux ans plus tard, les accusations ont été retirées. M. Pepin s'est alors tourné vers Saint-Constant pour exiger le remboursement de ses frais d'avocat (100 000 $). La municipalité refuse en s'appuyant sur des décisions récentes notamment dans le dossier de Boisbriand, où l'ancienne mairesse Sylvie Berniquez-St-Jean, reconnue coupable notamment de fraude et d'abus de confiance, n'a pas obtenu le remboursement des honoraires de ses avocats.

Pierre-Paul Routhier conteste la position de Saint-Constant, qui est la ville voisine de Châteauguay. Il siège aux côtés du maire Jean-Claude Boyer au sein de la MRC Roussillon ; M. Boyer en est même le préfet. Les deux hommes ont des dossiers en commun. Mais pour M. Routhier, la situation ne crée aucune interférence.

« La seule chose qui est importante dans le dossier Pepin, ce n'est pas que je sois contre la Ville de Saint-Constant [...], c'est qu'il faut savoir si un article de la loi pour préserver les poursuites indues contre les élus doit s'appliquer ou non. »

- Pierre-Paul Routhier

Il a ajouté que « ce sont deux dossiers dans lesquels [il est] très intéressé parce qu'il y a des points de droit très importants à éclaircir ». « Si je ne les fais pas, je serai très près des dossiers de toute façon », a indiqué Me Routhier.

Saint-Constant a fait parvenir une lettre à Me Routhier en décembre dernier, qui remet en question sa « capacité à continuer à représenter Monsieur Gilles Pepin » compte tenu de sa récente élection à la mairie de Châteauguay. Me Marc-André LeChasseur, qui représente Saint-Constant, a indiqué à La Presse que son collègue a refusé de se retirer du dossier. Me LeChasseur estime toutefois que « le rôle d'avocat de Me Routhier dans ce dossier [lui] semble difficile à concilier avec ses fonctions de maire de la ville voisine ».

La cause sera entendue en avril.