L'une des plus fortes concentrations de cerfs de Virginie au Québec se trouve à un peu plus d'un kilomètre d'un quartier résidentiel de Verdun et du boulevard LaSalle... une situation anormale qui menace maintenant tout un écosystème.

À peine 10 minutes de bateau suffisent, depuis les quais de Verdun, pour traverser les rapides et arriver sur une île où une vingtaine de chalets ont été bâtis au cours du siècle dernier.

Bienvenue sur l'île aux Hérons, où l'on compte plus de cerfs au kilomètre carré que sur l'île d'Anticosti. Mais cette surpopulation pose de sérieux problèmes.

Voilà pourquoi l'organisme non gouvernemental Conservation de la nature, qui a racheté l'île à Hydro-Québec en 2000, a mis sur pied avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs un projet-pilote de chasse contrôlée au cours du week-end. Du jamais vu dans une zone si près de la ville.

Il y a une dizaine d'années, un mâle et deux femelles, perdus ou courageux, ont traversé le fleuve et élu domicile sur l'île aux Hérons. Un petit coin de paradis, puisqu'aucun prédateur ne s'y trouve. Résultat: une cinquantaine de cerfs de Virginie vivent sur l'île de 0,43 kilomètre carré. Une véritable invasion.

« La capacité de support de l'île est de trois cerfs », explique Julien Poisson, coordonnateur chez Conservation de la nature Canada.

Le broutement et le piétinement des cerfs sont tels qu'ils détruisent l'écosystème en place, explique M. Poisson. « On est en train d'atteindre un point où les impacts seront irréversibles. »

Plus qu'un milieu propice aux cervidés, cette île est d'abord un refuge pour les oiseaux migrateurs qui accueille la deuxième colonie de hérons en importance au Canada. On compte au moins 200 à 300 nids juchés dans les arbres de cette rare forêt de micocouliers occidentaux.

Chasse contrôlée

Tout au long du week-end, une dizaine de chasseurs triés sur le volet ont été autorisés à chasser le cervidé sur l'île à l'arc et à l'arbalète, jugés plus sécuritaires eu égard à la petite superficie des lieux.

De l'île, on aperçoit la silhouette des gratte-ciel de Montréal. Les 28 chalets ici n'ont pas d'électricité, pas d'eau courante. C'est le calme plat, aucun chevreuil en vue. Il suffit toutefois de faire quelques pas en forêt pour constater les dégâts. L'écorce des arbres a été arrachée par les cerfs affamés et le sol est dépourvu de jeunes pousses.

Les villégiateurs qui habitent l'île depuis des décennies ont vu le paysage changer et des clairières apparaître.

Une autre propriétaire d'un chalet sur l'île aux Hérons se range aussi du côté de la protection de l'écosystème, non sans un pincement au coeur. « Je trouve que c'est triste de les tuer. Il y en a un, il a deux cornes et je l'appelle mon diable. J'espère qu'ils ne vont pas me l'abattre », dit-elle.

Le biologiste François Lebel, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, souligne que diverses options ont été étudiées, dont le déplacement d'une partie de la population, la stérilisation ou l'introduction d'un prédateur. La mesure la moins complexe et la moins coûteuse a été la chasse contrôlée.

Les chasseurs sont arrivés sur l'île à 7 h, samedi, avec la conviction qu'il serait aussi aisé d'y chasser que de pêcher dans un aquarium. « Mais la visibilité n'est vraiment pas bonne et on ne tire pas pour blesser. Si on ne voit pas assez bien, on ne tire pas », explique Éric Vezeau, chasseur et entraîneur de tir depuis 30 ans.

Vers midi, une seule bête avait été abattue. Ironiquement, malgré les problèmes de surpopulation de l'île, La Presse n'a pas aperçu de cerfs au cours de la matinée. Il faut dire que cette invasion de journalistes, quoique temporaire, aura à son tour perturbé quelque peu la tranquillité des lieux.

M. Vezeau, muni de son arbalète, et son équipe de neuf chasseurs ont abattu deux autres bêtes au cours de l'après-midi.

La chasse pourrait s'étendre sur un deuxième week-end afin de retrancher une dizaine de cerfs de la population. L'expérience pourrait être répétée au cours des prochaines années jusqu'à la population soit ramenée à des seuils correspondant à la capacité de l'île, affirme M. Poisson.