Une cravate, un conseiller rebelle et une vive algarade. Voici les ingrédients d'un incident qui s'est produit cette semaine au conseil municipal de Montréal, à micro fermé, et qui pourrait bientôt valoir un blâme officiel au conseiller Alex Norris - une première depuis belle lurette, de mémoire d'élus.

Tout a commencé en fin d'après-midi, mardi, lorsque le conseiller de Projet Montréal, reconnu pour son opposition au port obligatoire de la cravate au conseil, s'est levé pour prendre la parole. M. Norris ne portait pas de cravate, et la présidente par intérim, Elsie Lefebvre, lui a demandé d'en mettre une comme le veut le décorum.

Il n'y a pas de code vestimentaire proprement dit à l'hôtel de ville. Mais, comme à l'Assemblée nationale et à la Chambre des communes, il existe une règle non écrite qui oblige les élus masculins à porter la cravate.

Après plusieurs rappels à l'ordre de Mme Lefebvre, le conseiller du Mile End a finalement accepté d'obtempérer, non sans rouspéter. «Quelle gang de réactionnaires, rétrogrades, arriérés, a-t-il lancé à l'intention des conseillers qui se réjouissaient de la rigueur de la présidente. On se croirait dans un petit village d'arrière-coin alors qu'on est une ville cosmopolite.»

Quelques minutes plus tard, une fois la séance levée, M. Norris a rejoint Elsie Lefebvre pour discuter de l'incident. Selon des témoins, il s'est alors approché «à deux pouces» de l'élue de Vision Montréal et s'est adressé à elle avec agressivité.

«Il a été intimidant, il a été agressif, c'est inacceptable et déplacé, explique la leader de Vision Montréal, Anie Samson. En 16 ans de vie politique municipale, je n'ai jamais vu une telle violence verbale. Un citoyen nous ferait ça, on porterait plainte. C'est de l'intimidation. Il est très grand et, pauvre Elsie, elle est toute petite.»

Personne ne connaît la teneur des propos qui ont été échangés mais, selon les élus d'autres partis consultés hier, le problème réside surtout dans la forme.

Alex Norris se défend quant à lui d'avoir insulté ou injurié Elsie Lefebvre. Il désirait seulement lui demander pourquoi elle faisait appliquer une règle «aussi réactionnaire» puisque, selon M. Norris, «elle a la réputation d'être progressiste et ouverte d'esprit».

«J'ai cru comprendre qu'elle a été insultée, alors je lui ai envoyé un petit mot pour lui offrir mes excuses, dit Alex Norris. Mais, à mon sens, je ne l'ai ni insultée ni injuriée.»

Blâme

M. Norris pourrait maintenant recevoir un blâme de la Commission de la présidence du conseil. Ce sera à l'ordre du jour de la prochaine réunion de l'instance, le 14 juin.

«Nous allons examiner cet incident, qui est très sérieux, et recueillir les témoignages des élus, explique Marvin Rotrand, vice-président de la Commission et conseiller d'Union Montréal. De mémoire, la Commission n'a jamais fait de motion de blâme dans le passé. Mais il y a des allégations d'intimidation de la présidence et c'est sérieux.»

Alex Norris dit quant à lui que l'incident est clos. Il s'est excusé et voudrait que le conseil se penche sur des sujets plus pressants.

L'opposition de M. Norris au port obligatoire de la cravate n'est pas nouvelle. En avril 2010, il s'était aussi présenté à la réunion du conseil sans cravate. L'ex-président Claude Dauphin lui avait alors donné l'ordre d'en nouer une à son cou, ce qu'il s'était résigné à faire grâce au bon concours d'un employé de la Ville qui lui en avait prêté une.

En août dernier, Claude Dauphin l'avait averti qu'il serait expulsé s'il se présentait de nouveau sans cravate. L'ex-président avait alors expliqué que les trois partis s'étaient entendus pour perpétuer la tradition.

«Toute cette histoire démontre que le conseil municipal est déconnecté des Montréalais, croit Alex Norris, qui n'écarte pas la possibilité de revenir à la charge. Le conseil n'est pas un club privé. On n'a pas tous besoin d'avoir un uniforme. Avoir un code vestimentaire comme ça n'est pas digne d'une métropole du XXIe siècle. C'est absurde. On est à Montréal, on n'est pas à Hérouxville.»

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DÉCORUMS INÉGAUX

Ottawa

Comme à Montréal, rien dans le règlement de la Chambre des communes n'oblige le port de la cravate, mais «l'usage et la convention» l'imposent. Les députés de sexe masculin doivent ainsi porter la chemise, le veston et la cravate. Le port du kilt est permis, nous apprend le site du Parlement, notamment le jour de l'anniversaire de naissance du poète national écossais Robert Burns, le 25 janvier.

Québec

Les règlements de l'Assemblée nationale n'obligent pas explicitement le port de la cravate. Mais selon l'usage, les hommes sont tenus d'être en veston-cravate et les femmes, en tenue de ville, indique un porte-parole. Dans un cas récent, à Québec, des députés ont refusé d'entamer les travaux d'une commission parlementaire parce qu'un de leurs collègues ne portait pas de cravate. Celui-ci a dû en emprunter une à un collègue.

Toronto

Le conseil municipal de Toronto n'a aucun code vestimentaire. Aucun règlement d'usage n'est appliqué, et les conseillers masculins peuvent donc siéger sans cravate. Ils pourraient même siéger vêtus d'un t-shirt à l'effigie d'un groupe rock, a confirmé hier une porte-parole, qui a précisé que la chose ne s'était toutefois pas encore produite.