Un courriel confidentiel, que vient d'obtenir La Presse, montre que le maire Gérald Tremblay a demandé à des fonctionnaires de masquer une information importante avant la vente d'un immeuble de la Ville de Montréal à un groupe de promoteurs représenté par un de ses supporteurs.

En 2005, le maire et Frank Zampino, alors président du comité exécutif, ont demandé de biffer le montant de l'évaluation municipale de la gare Viger et d'accepter l'offre d'achat présentée par Développement Télémédia et ses partenaires. L'évaluation était de 14,7 millions et l'immeuble a été vendu 9 millions.

Un des principaux représentants de Développement Télémédia est Philip O'Brien, qui a soutenu le parti du maire, Union Montréal. Il a versé 500$ à la caisse du parti en 2005 et 1000$ en 2006.

À cette époque, Développement Télémédia et ses partenaires ont offert d'acheter la gare-hôtel et deux autres bâtiments, situés face au square Viger. Les fonctionnaires ont analysé l'offre et préparé un dossier, qui devait être discuté au comité exécutif.

Le dossier a été «retiré de l'ordre du jour pour faire l'objet d'une modification», indique un courriel, signé le 11 juillet 2005 par une analyste de la Direction du processus décisionnel.

La raison: le maire et M. Zampino avaient demandé à Jacques DesLauriers, alors directeur du processus décisionnel, de ne pas mentionner le montant de l'évaluation municipale dans ce dossier, qui devait par la suite être présenté au conseil municipal.

«Suite à la rencontre de M. DesLauriers avec le Maire et M. Zampino, il a été demandé que le Service apporte une correction à son dossier, à savoir: dans la section "Aspects financiers", enlever la phrase "L'évaluation municipale, pour les trois immeubles, est de plus ou moins 14 millions"», indique le courriel.

Sans réserve

Par ailleurs, Sammy Forcillo, alors conseiller politique auprès de M. Zampino, a demandé au service des finances de ne plus faire état de ses «réserves» envers la vente. Aujourd'hui, M. Forcillo est conseiller municipal, mais à l'époque, il ne l'était pas.

«De plus, M. Forcillo communiquera avec le Service des finances pour qu'il modifie son intervention afin qu'elle soit libellée "Avis favorable avec commentaires" au lieu de "Avis favorable avec réserve", indique le courriel. Dès que les corrections auront été apportées, le dossier sera réinscrit à l'ordre du jour du comité exécutif du 13 juillet 2005.»

Il y a deux semaines, La Presse a indiqué au cabinet du maire qu'elle avait en sa possession ce courriel confidentiel et d'autres documents sur la vente de la gare Viger. Une semaine plus tard, une rencontre a été organisée à l'hôtel de ville. «Il n'y a pas eu de faveurs dans ce dossier», a déclaré d'emblée la porte-parole du maire, Christiane Miville-Deschênes.

Michel Nadeau, directeur des stratégies et transactions immobilières, a dit que les fonctionnaires avaient approuvé les modifications demandées par Gérald Tremblay, Frank Zampino et Sammy Forcillo. «Je vous jure que les cadres et les fonctionnaires ne font pas de modifications dans leurs dossiers s'ils ne sont pas d'accord», a-t-il dit.

Selon M. Nadeau, le maire et M. Zampino ont demandé de biffer l'évaluation municipale des immeubles parce qu'elle ne correspondait pas à la réalité. «La valeur de 14,7 millions avait été attribuée à des terrains plus grands que ceux qui allaient être vendus», a-t-il dit.

Pourtant, cette même évaluation - 14,7 millions - apparaît en toutes lettres dans l'acte de vente, conclu en mai 2006. «C'était une simple convention entre l'acheteur et le vendeur», a dit M. Nadeau. Recalculer l'évaluation aurait été inutilement compliqué, a-t-il ajouté. Une évaluation réalisée en 2000 avait fixé la valeur marchande de la gare Viger entre 2,3 et 5,3 millions, en excluant les deux autres immeubles et les terrains.

Quant à l'intervention de M. Forcillo, il était normal qu'il demande au service des finances de ne plus faire état de ses réserves, a dit M. Nadeau. «Un avis favorable avec réserve, cela signifie qu'il reste des points à discuter, a-t-il dit. Ces points-là ont été résolus et la réserve n'avait plus lieu d'être.»

Renvoi d'ascenseur?

Richard Bergeron, chef de Projet Montréal, deuxième parti de l'opposition à l'hôtel de ville, a analysé en détail la vente de la gare Viger en 2008, avant les dernières élections. Il a comparé cette transaction avec trois autres ventes faites par la Ville et conclu que la gare Viger et les deux hectares de terrains vendus à Développement Télémédia et ses partenaires valaient plutôt 40 millions de dollars.

«Ma théorie sur la gare Viger, c'est qu'il s'agit d'un renvoi d'ascenseur. On dit couramment de Phil O'Brien qu'il a été l'assembleur et la cheville ouvrière d'Union Montréal (le parti du maire). La vente s'est faite au rabais, sans appel d'offres. Les promoteurs sont maintenant assis sur une mine d'or.»

La Presse a tenté de joindre M. O'Brien, sans succès. Jan Schöningh, autre représentant des promoteurs et président du groupe Homburg pour l'Amérique du Nord, affirme que la Ville a fait une bonne affaire en vendant la gare pour 9 millions.

Michel Nadeau, directeur des transactions immobilières à la Ville, a rappelé que la Commission scolaire de Montréal avait retiré son offre d'acheter la gare Viger pour 6 millions, en 2002. «Les calculs faits par Richard Bergeron ne tiennent pas la route, a-t-il dit. Avant de vendre, la Ville avait évalué qu'il y avait pour au moins 13 millions de dollars de rénovations à faire.»

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Retard dans la construction

En achetant la gare Viger en 2006, le consortium Viger DMC International a annoncé un investissement de 400 millions de dollars dans la construction d'un hôtel de luxe, de bureaux, de commerces et d'immeubles résidentiels. Selon le contrat de vente, le consortium avait trois ans pour commencer les travaux, sinon des pénalités seraient imposées. Une lettre de garantie bancaire de 3 millions de dollars devait être remise à la Ville en novembre dernier.

Cinq ans plus tard, la construction n'a pas commencé. Michel Nadeau, directeur des transactions immobilières à la Ville, a indiqué qu'il attendait la lettre de certificat bancaire pour bientôt, pour un total de 1 million. Selon lui, le promoteur a fait d'importantes dépenses, notamment pour démolir un petit immeuble et désamianter la gare. Jan Schöningh, un des représentants du consortium, a suggéré que le projet pourrait vraiment prendre son envol au moment de la construction du nouveau CHUM, situé à quelques coins de rue.