Rose-Marie Gallagher se souvient très bien de la tempête qui a frappé Sainte-Flavie, le 6 décembre 2010. La mer, comme on appelle le fleuve dans ce coin du Bas-Saint-Laurent, a déferlé sur la côte, emportant une partie du rivage.
« Ça montait en haut de la porte-patio. Un petit solage a cassé, la mer est entrée dans le vide sanitaire », raconte la septuagénaire. Le mur de bois censé protéger la berge et le gros cabanon pièce sur pièce sont « partis comme un château de cartes ».
Il y a eu des moments « un peu comiques », à regarder un « beau gazebo neuf, tout chic, valser sur la mer », mais « le lendemain matin, c’était un peu moins drôle parce qu’on a vu les dégâts ».
Quand les premières offres gouvernementales sont arrivées quelques mois plus tard, Mme Gallagher et son conjoint, Pierre Bouchard, n’avaient aucune envie de quitter la grande maison de bois où leurs quatre enfants avaient grandi. « On ne se sentait pas à risque parce que la maison avait été surélevée et l’enrochement, bonifié. »
En 2019, toutefois, lorsque Québec a offert un nouveau programme, le couple a réfléchi.
Mme Gallagher était alors conseillère municipale après avoir été mairesse du village. M. Bouchard faisait beaucoup de bénévolat.
Tu ne te sens pas bien là-dedans, mais à un moment donné, comme tout le monde, tu prends la meilleure décision pour toi, et tu ne juges pas les autres. Une dame nous reprochait de nous en aller, finalement elle-même est partie…
Rose-Marie Gallagher
Dans leur décision de partir, il n’y avait « pas de peur, pas une miette », mais la pensée que « les enfants hériteraient de [leur] maison et ce serait difficile à vendre pour eux ».
Ils ont déménagé à Rimouski, à quelques minutes de marche du fleuve, près d’une piste cyclable et, surtout, dans la même ville que leurs petits-enfants.
« C’était quelque chose, ce déracinement-là », glisse toutefois Mme Gallagher.
La municipalité n’ayant pas immédiatement démoli sa maison, celle-ci a fini par avoir « l’air du diable », avec un rideau flottant par un carreau cassé.
« Je viens de Chandler, en Gaspésie, j’ai connu des fermetures de villages, je voyais des maisons à l’abandon avec des fenêtres cassées et des rideaux qui sortaient au vent. Je n’étais plus capable, j’ai appelé la municipalité. »
Le jour de la démolition, l’ancienne propriétaire est passée en toute fin d’après-midi. « Elle était à terre. C’est quelque chose, je vais vous dire. »
« Beaucoup d’émotions, de questionnements, de remises en question dans toute cette saga vécue par les riverains ! », a résumé Mme Gallagher dans Le grand dilemme : partir ou rester… ?, un texte publié dans un ouvrage collectif en 2020.
Environ 37 ménages ont renoncé à leur terrain en 2011, et 22 autres en 2019, nous a-t-on indiqué à la municipalité.
Des allocations de départ ont aussi été données dans les municipalités de Sainte-Luce, Sainte-Félicité, Matane, Rimouski, Métis-sur-Mer et Grand-Métis, mentionne le ministère de la Sécurité publique.
« Quand on a eu des séances d’information, autant en 2010 qu’en 2019, on a fait des demandes à l’agence de santé, ils ont dépêché une équipe », précise Francine Roy, trésorière adjointe et ex-directrice générale de Sainte-Flavie.
Pour certains résidants, « leur idée était déjà faite, ils ne voulaient plus demeurer sur place », raconte Mme Roy. « Une dame qui venait au bureau était tout le temps en sanglots, elle avait de la difficulté à parler. » Mais elle se souvient aussi d’un couple dont l’un des conjoints voulait partir et l’autre rester. « Disons que c’était un petit peu problématique. »
« Enjeux humains »
Les impacts de l’érosion côtière sur la santé des habitants sont encore très peu étudiés, reconnaissent les autorités sanitaires du Bas-Saint-Laurent dans leur grande Évaluation de la vulnérabilité populationnelle régionale aux changements climatiques, publiée l’an dernier. « Comme cet aléa s’installe progressivement, les conséquences sur la santé sont moins de nature physique que liées aux impacts psychologiques et sociaux », signalent toutefois les auteurs.
Sainte-Flavie, qui comptait 946 habitants en 2010, en recensait une centaine de moins en 2022.
Le village côtier a fourni beaucoup de soutien à ses citoyens et a investi dans ses infrastructures. Son réseau de distribution d’eau et d’égout, qui passe le long de la route 132, demeure néanmoins une préoccupation.
Les résidences sont une protection pour la route. Donc en les enlevant et en mettant des terrains vacants, c’est sûr que ça fragilise un peu notre réseau [face aux] grandes marées futures.
Francine Roy, trésorière adjointe et ex-directrice générale de Sainte-Flavie
La route 132, rappelle-t-elle toutefois, appartient au ministère des Transports, donc « eux aussi, il faut qu’ils [la] protègent ».
Lorsqu’il est question d’adaptation, « on pense beaucoup aux phénomènes physiques, mais ce sont aussi beaucoup des enjeux humains », souligne Julia Santos Silva, coordonnatrice du premier Forum interrégional sur les risques côtiers, qui réunira cinq régions à Rivière-du-Loup à la fin de mai.
Il y sera notamment question de santé mentale en contexte de changements climatiques et de prise de conscience des risques côtiers et climatiques. L’objectif est d’outiller les municipalités, qui ont la tâche d’accompagner les citoyens, explique Mme Santos Silva, chargée de projets au Conseil régional de l’environnement du Bas-Saint-Laurent.
« Même si les gens sont conscients des risques, c’est parfois difficile d’accepter qu’il ne sera plus viable de rester dans certains secteurs et que des personnes vont devoir déménager. »
Consultez la page du Forum interrégional sur les risques côtiers 2024