Une tempête a frappé Dubaï, lundi, où se tient la COP28 sur le climat. Une controverse provoquée par Sultan Al Jaber, qui a déclaré en novembre qu’il n’existait « aucune science ni aucun scénario qui affirme que la sortie des combustibles fossiles permettra d’atteindre [la cible de] 1,5 °C ». Autopsie d’un échange entre le président de la COP28 et l’ancienne présidente de l’Irlande, Mary Robinson.

La déclaration controversée

« J’ai accepté de venir à cette réunion pour avoir une conversation sobre et mature. Je ne m’inscris en aucun cas à une discussion alarmiste. Je suis ici factuel et je respecte la science. Il n’existe aucune science ni aucun scénario qui affirme que l’élimination progressive des combustibles fossiles permettra d’atteindre [la cible de] 1,5 °C », a répondu Sultan Al Jaber à une question posée par l’ancienne présidente de l’Irlande, Mary Robinson. L’échange, rapporté lundi par The Guardian, s’est déroulé le 21 novembre pendant une rencontre en ligne organisée par SHE Changes Climate, une ONG qui milite pour faire entendre la voix des femmes face aux enjeux climatiques.

L’étincelle qui a allumé le feu

« Nous traversons une crise absolue qui frappe plus que quiconque les femmes et les enfants. […] Et c’est parce que nous ne nous sommes pas encore engagés à éliminer les combustibles fossiles. C’est la seule décision que la COP28 peut prendre et, à bien des égards, parce que vous êtes à la tête de l’ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company), vous pourriez la prendre avec plus de crédibilité. […] Je n’ai pas entendu le mot “urgent” aussi clairement dans votre voix lorsque vous avez parlé plus tôt. C’est pourquoi je vous ai en quelque sorte interrompu », a déclaré Mary Robinson au Sultan Al Jaber, qui est aussi le PDG du groupe pétrolier ADNOC.

Retourner au « monde des grottes »

« 1,5 [degré] est mon Étoile du Nord. Et je le reconnais. Et l’élimination des combustibles fossiles est, à mon avis, inévitable. C’est essentiel. Mais nous devons être très sérieux et pragmatiques à ce sujet. […] S’il vous plaît, aidez-moi, montrez-moi une feuille de route pour une sortie des combustibles fossiles qui permettra un développement socioéconomique durable, à moins que vous ne vouliez ramener le monde dans des grottes », a ajouté le président de la COP28 dans sa réponse à Mary Robinson.

« Arrêtez de pointer du doigt »

Au cours de l’échange, Sultan Al Jaber s’en est aussi pris à Mary Robinson, l’accusant de chercher seulement des coupables. « Je ne pense pas que Mary sera capable d’aider à résoudre le problème climatique en pointant du doigt ou en contribuant à la polarisation et à la division qui se produisent déjà dans le monde. Ce dont nous avons besoin ici, ce sont des solutions. Montrez-moi les solutions. Arrêtez de pointer du doigt. Montrez-moi ce que vous pouvez faire. Montrez-moi vos propres contributions et ils vous salueront pour cela. Arrêtez de pointer du doigt. Arrêtez ça. »

« Un échange inquiétant »

Les journalistes Damian Carrington et Ben Stockton, du Guardian, ont mentionné que Sultan Al Jaber semblait « de mauvaise humeur » dans ses réponses à Mary Robinson. « Il s’agit d’un échange extraordinaire, révélateur, inquiétant et belliqueux. “Nous renvoyer dans des grottes” est la plus ancienne des rhétoriques de l’industrie des combustibles fossiles : cela frise le déni climatique », a souligné Bill Hare, patron du regroupement Climate Analytics, en entrevue avec le Guardian. « On ne peut pas se permettre que la COP28 soit un échec », a déclaré le climatologue Michael Mann sur les ondes de la télévision britannique Channel 4. « Dire qu’il n’y a pas de science, c’est ignorer le fait que rapport après rapport – révisés par les pairs –, les liens entre les émissions de carbone et le réchauffement de la planète ont été démontrés. »

Un lundi à gérer la crise

Sultan Al Jaber a passé une partie de la journée, lundi, à gérer la crise provoquée par ses déclarations du 21 novembre dernier. Il a mentionné que ses propos avaient été « mal interprétés ». « Je crois et je respecte la science. Tout le travail de la présidence est focalisé et centré sur la science », a-t-il déclaré au cours d’une conférence de presse où il était accompagné du président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Jim Skea. Al Jaber a précisé qu’il fallait atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et qu’il fallait réduire les émissions de 43 % d’ici 2030 pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Il a également réitéré qu’il avait beaucoup de respect pour Mary Robinson.

Al Gore s’en mêle

« S’il y avait une décision ici pour surprendre le monde et dire : “OK, nous comprenons maintenant, nous avons gagné assez d’argent, nous allons faire ce qui doit être fait pour redonner aux jeunes un sentiment d’espoir et arrêter autant que possible au lieu de souffrir le plus possible et entamer l’élimination des combustibles fossiles”, ce serait l’un des évènements les plus significatifs de l’histoire de l’humanité », a déclaré l’ancien vice-président américain Al Gore, dans une entrevue avec le Guardian.

Avec The Guardian, Channel 4 et l’Agence France-Presse