Québec cède aux pressions d’Ottawa et accepte d’en faire davantage pour sauver le caribou, menacé de disparition, mais les avancées annoncées par les deux gouvernements laissent les experts sur leur faim.

Les gouvernements Legault et Trudeau ont accompli des « progrès » dans leurs négociations visant à accentuer la protection des caribous forestiers et montagnards sur le territoire québécois, ont-ils annoncé lundi dans un communiqué conjoint, qui ne comporte toutefois aucune annonce concrète.

Le gouvernement québécois « souhaite prendre des mesures additionnelles importantes » dans le but de « tendre vers l’autosuffisance à long terme de toutes les populations de caribou », affirme le texte.

Ces mesures permettront de réduire à 35 % le taux de perturbation de l’habitat du caribou forestier et montagnard « dans chacune de leurs aires de répartition ».

Ce seuil est le minimum requis pour qu’une harde ait 60 % de chances de survivre, selon le consensus scientifique.

Québec entend y parvenir en utilisant différents outils de « protection du territoire », comme la désignation d’habitats fauniques légaux, de refuges biologiques et le démantèlement de chemins forestiers.

La protection de « grands massifs d’habitats intacts est essentielle pour le maintien des populations » de caribous, réitérait pourtant l’automne dernier la revue de littérature commandée par le ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, pour mieux comprendre le déclin du caribou.

Les mesures projetées par Québec, qui seront planifiées « en collaboration avec les nations autochtones concernées par le caribou », seront en partie financées par Ottawa, indique le document.

Québec s’engage par ailleurs à publier sa stratégie finale sur la sauvegarde du caribou forestier « d’ici la fin du mois de juin 2023 ».

Les deux gouvernements affirment avoir bon espoir de parvenir éventuellement à une entente formelle, mais la menace d’une intervention unilatérale d’Ottawa n’est pas écartée définitivement.

Pendant ce temps, les caribous meurent

La volonté de Québec d’en faire plus est vue comme « un pas dans la bonne direction » par les experts sur le caribou que La Presse a consultés, mais tous restent sur leur faim.

« Ils disent qu’ils veulent en faire plus en visant le seuil minimum », estime Fanie Pelletier, professeure au département de biologie de l’Université de Sherbrooke et spécialiste de l’écologie animale, qui travaille entre autres sur le caribou montagnard de la Gaspésie.

Elle rappelle que l’objectif de limiter à 35 % le taux de perturbation de l’habitat du caribou est un minimum qui ne permet d’assurer que 60 % de chances de survie à l’espèce.

On s’entend : ce n’est pas énorme, 60 %. Il y a encore 40 % de chances que ce seuil-là soit insuffisant.

Fanie Pelletier, professeure au département de biologie de l’Université de Sherbrooke et spécialiste de l’écologie animale

Mathématiquement, cela signifie que de telles mesures ne suffiront pas à sauver toutes les hardes de caribou, affirme Daniel Fortin, professeur titulaire au département de biologie de l’Université Laval.

« On peut s’attendre à ce qu’une bonne partie des populations déclinent quand même », a-t-il déclaré.

Fanie Pelletier déplore par ailleurs que Québec attendra près d’un an encore pour publier sa stratégie visant la sauvegarde du caribou.

« Ces animaux-là, pendant qu’on met des mois et des années à établir des plans, eux, ils meurent », dit-elle.

Nature Québec estime également que « le gouvernement provincial a assez lambiné dans le dossier du caribou » et que le temps n’est plus aux « demi-mesures pour faire plaisir à l’industrie forestière », a déclaré la chargée de projets en biodiversité et forêt de l’organisation, Marianne Caouette.

Enjeu électoral

La protection du caribou promettait de s’inviter dans la campagne électorale québécoise qui devrait s’amorcer officiellement dans moins d’une semaine, notamment avec la menace des Innus de Pessamit de s’adresser aux tribunaux pour forcer l’adoption de mesures de protection du caribou.

Le gouvernement Legault « a gagné » et s’offre une tranquillité d’esprit, estime le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP).

« Il n’y a aucune avancée concrète dans ce qui est annoncé », regrette-t-il, réitérant que la protection « à court terme » d’environ 35 000 kilomètres carrés (km⁠2) de l’habitat essentiel du caribou forestier « doit demeurer la priorité ».

La SNAP Québec salue toutefois « la volonté des deux gouvernements de travailler ensemble et avec les Peuples autochtones pour trouver des solutions à un enjeu de conservation complexe », a déclaré Alain Branchaud.

Nature Québec et la SNAP Québec réclament une entente concrète et rapide assortie de mesures de protection légales pour assurer la survie de l’ensemble des populations de caribous forestiers et montagnards, comme la création d’aires protégées.

Les Innus de Pessamit ont proposé à Québec la création d’une aire protégée dans le secteur du réservoir Pipmuacan, à cheval sur la Côte-Nord et le Saguenay—Lac-Saint-Jean, afin de protéger la harde qui y vit, dont le risque d’isolement et de disparition est très élevé.

Le Conseil des Innus de Pessamit, qui a été renouvelé la semaine dernière à l’occasion d’élections, n’avait pas encore réagi au moment d’écrire ces lignes.

Distinguer les différents caribous

Le caribou compte plusieurs sous-espèces, dont une seule vit au Québec : le caribou des bois (Rangifer tarandus caribou). Il en existe trois « écotypes », c’est-à-dire des variétés qui se sont adaptées de façon génétique aux conditions spécifiques de leur milieu : le caribou migrateur, dans le nord du Québec, le caribou forestier (appelé boréal par le gouvernement fédéral), au nord du fleuve Saint-Laurent, et le caribou montagnard, en Gaspésie et dans les monts Torngat, à la frontière du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador. Le caribou forestier et le caribou montagnard figurent sur la liste des espèces en péril du Canada et sur la liste des espèces menacées ou vulnérables du Québec.

En savoir plus
  • 5252
    Estimation de la population de caribou forestier au Québec
    SOURCE : COMMISSION INDÉPENDANTE SUR LES CARIBOUS FORESTIERS ET MONTAGNARDS