Gestionnaire de choc du réseau de la santé, Gertrude Bourdon va faire le saut en politique. L'infirmière devenue patronne d'hôpital rencontre samedi le chef de la CAQ, François Legault, pour sceller des semaines de discussions. Si la CAQ l'emporte le 1er octobre, la nouvelle candidate de Charlesbourg deviendra à coup sûr ministre de la Santé.

Longtemps hésitante, les yeux rivés sur les sondages, Mme Bourdon, directrice du CHU de Québec, tenait à obtenir passablement d'assurances du chef caquiste. Finies les montagnes russes pour le budget de la Santé : Legault a dû lui promettre une « stabilité » qui assurerait que les fonds seraient au rendez-vous pour soutenir les changements qu'elle compte apporter.

Sa plus grande crainte : devenir un « deuxième Jean Rochon ». Issu de la santé publique, auréolé par son parcours à l'Organisation mondiale de la Santé, moteur d'une importante commission d'enquête sur le fonctionnement du réseau, le Dr Rochon, une fois devenu ministre péquiste, avait voulu mettre en oeuvre une réforme audacieuse, la médecine ambulatoire.

Les plus âgés s'en souviendront : le virage de Jean Rochon a été broyé par l'atteinte de l'objectif du déficit zéro du gouvernement Bouchard. On a fermé des hôpitaux, d'autres ont été transformés en CHSLD. Québec a acheté les retraites anticipées de médecins, d'infirmières. Des milliers d'employés du réseau se sont retrouvés chez eux, sans responsabilité, dans le « Club Med » des « mis en disponibilité ». Puis est venue Pauline Marois. Le réseau de la Santé était à ce point dysfonctionnel que des cancéreux ont dû aller se faire traiter aux États-Unis, tant les délais d'attente au Québec étaient longs.

Reste que les discussions entre la nouvelle recrue et François Legault ont été laborieuses. Elle ne lui a pas caché qu'elle entrait en politique uniquement pour être ministre de la Santé. 

Historiquement plus proche du PQ, elle a aussi fait l'objet d'une cour assidue du ministre Gaétan Barrette, qui voulait l'attirer dans le giron libéral. Barrette voyait en cette gestionnaire, favorable à ses réformes, un « alter ego » féminin, qui aurait pu être candidate dans Jean-Lesage (à Québec), où il n'y a toujours pas de candidat libéral. En juin, les discussions étaient au point mort avec la CAQ et le PLQ. On a conclu dans l'un et l'autre camp qu'elle ne serait finalement pas candidate.

Pourtant, début août, Martin Koskinen, le bras droit de François Legault, la relançait. Elle l'a écouté attentivement. Mais une première rencontre avec Legault a refroidi tout le monde : Mme Bourdon voulait qu'il s'engage à hausser le budget de la santé de 8 % par année. La cible est très élevée, il faudrait presque fermer d'autres ministères pour assouvir l'appétit de la Santé. Legault lui a opposé un refus sans appel. On a alors tenu pour acquis qu'elle ne serait pas candidate, jusqu'à ce qu'elle revienne à la charge.

« CAPTURE QUASI INESPÉRÉE »

À 63 ans, l'infirmière est près de la retraite. La carrière politique n'a rien d'un pactole : son salaire actuel est de 290 000 $, le double de ce qu'elle pourrait espérer comme ministre. La gestionnaire est donc une capture quasi inespérée pour la CAQ. François Legault a par ailleurs trouvé un ministre de la Santé. Le Dr Lionel Carmant, médecin à Sainte-Justine, deviendrait ministre délégué à la Santé, selon le scénario toujours sur la table de Legault.

Née dans le village de Saint-Cyprien de Dorchester, Mme Bourdon vient d'une famille de huit enfants. Elle aspirait à devenir psychologue, mais elle s'est dirigée vers les soins infirmiers, spécialisée en néonatalogie. En parallèle, elle a fait des études en management à l'École nationale d'administration publique. Infirmière-chef à 35 ans, elle a fait avancer la réflexion sur la coordination des services cliniques. Elle devait gravir rapidement les échelons, jusqu'à devenir présidente-directrice générale du CHU de Québec. Depuis le printemps, elle est au centre d'un énorme projet, la transformation de l'Enfant-Jésus en grand hôpital, un chantier de 2 milliards.

Lors de l'annonce de ce chantier, en mai dernier, elle avait provoqué des éclats de rire en servant du « mon ministre » à Gaétan Barrette. La Presse l'avait rencontrée un peu plus tard le même jour. Elle laissait la porte grande ouverte à un saut en politique, mais a pris soin de brouiller les pistes quant à son point de chute.

Avec cette nouvelle pièce, le plan de la CAQ est limpide : il veut mettre fin à l'hégémonie des médecins sur le réseau.

Philippe Couillard, Juan Roberto Iglesias, son bras droit, et Gaétan Barrette, trois médecins, ont pris toutes les décisions relatives à la santé. Le Dr Iglesias devait négocier l'entente avec les spécialistes. Or, sa fille est gynécologue dans la même clinique que la présidente de la FMSQ, Diane Francoeur, et son gendre est radiologiste. On peut penser qu'il ne négociait pas le couteau entre les dents. Autocrate, souvent cassant, Gaétan Barrette était opposé à la généreuse entente accordée aux spécialistes, qui a causé passablement de tort au gouvernement. Mais M. Barrette est devenu en fin de course un boulet politique pour le gouvernement Couillard. Une candidature comme Gertrude Bourdon lui aurait permis d'espérer un autre portefeuille.