Les autorités l'avaient à l'oeil. Elles lui avaient même retiré son passeport pour éviter qu'il parte rejoindre le groupe armé État islamique, a appris La Presse. Il a plutôt décidé de frapper ici. C'est une véritable embuscade que Martin Rouleau, un jeune converti à l'islam radical, a tendue aux militaires canadiens à Saint-Jean-sur-Richelieu hier, avant d'être tué par la police.

Dans la petite localité montérégienne, on voit souvent des soldats de la garnison locale se rendre aux bureaux de Service Canada, dans un petit centre commercial du boulevard du Séminaire, au centre-ville. C'est là qu'ils reçoivent divers services et prestations du gouvernement fédéral.

Selon les premiers éléments à filtrer de l'enquête, Martin Rouleau s'est rendu dans le stationnement devant l'édifice et a attendu son moment, dans sa voiture. Peu avant midi, il a aperçu un groupe de trois militaires, dont deux en uniforme. Écrasant l'accélérateur, il a foncé sur eux à vive allure.

La seule femme du groupe a pu esquiver la charge. Les deux autres ont été blessés, dont un très gravement. Ce dernier reposait toujours dans un état critique à l'Hôpital général de Montréal au moment de publier ces lignes.

Au nom d'Allah

Rouleau a ensuite pris la fuite en roulant sur quelques kilomètres sur le boulevard du Séminaire. Selon une source policière, il a téléphoné au 911 pour déclarer qu'il agissait au nom d'Allah.

Les policiers de Saint-Jean ont déployé un tapis clouté pour l'arrêter. Le fugitif a fait une manoeuvre pour l'éviter, mais sa voiture a ensuite fait une sortie de route et s'est retrouvée sur le toit, près de la rue Schubert, à un endroit où le boulevard du Séminaire sépare un champ de maïs d'un nouveau développement résidentiel.

Les policiers se sont approchés, mais selon leur récit, Rouleau serait sorti avec un imposant couteau à la main et se serait approché d'eux. Un ouvrier de la construction qui pouvait voir la scène du haut de son échafaudage a indiqué que les policiers lui ont demandé en criant ce qu'il tenait dans la main. Le témoin a ensuite entendu les coups de feu de la police qui ont abattu Rouleau.

«Les ambulanciers sont arrivés après. Les policiers lui faisaient la réanimation, mais ça n'a pas servi à grand-chose», raconte Tommy, qui n'a pas voulu fournir son nom de famille.

La mort de Rouleau a été constatée à l'hôpital peu après.

Passeport retiré

La conversion du jeune homme à des idées extrémistes avait attiré l'attention de la police depuis plusieurs mois, tout comme ses propos favorables au djihad et au groupe armé État islamique (EI), qui mène présentement une campagne sanglante pour imposer sa version de la religion en Irak et en Syrie.

«Cet individu était connu des autorités fédérales, incluant notre équipe intégrée de sécurité nationale à Montréal, et d'autres autorités qui étaient concernées qu'il était devenu radicalisé», a déclaré la GRC sur son site web hier.

Or, selon ce qu'a pu confirmer La Presse, les autorités avaient carrément décidé de retirer le passeport de Rouleau il y a quelques semaines, de crainte qu'il s'envole vers la Syrie ou l'Irak pour rejoindre l'EI. Personne n'a voulu confirmer hier à quel point il avait été gardé sous surveillance depuis.

En septembre, un message du porte-parole officiel du groupe armé État islamique, Abu Mohammed al Adnani, demandait à ses sympathisants d'attaquer les ressortissants de différents pays qui s'opposent à l'EI, dont le Canada. «Si vous pouvez tuer un infidèle américain ou européen - en particulier les méchants et sales Français - ou un Australien ou un Canadien, ou tout citoyen des pays qui sont entrés dans une coalition contre l'État islamique, alors comptez sur Allah et tuez-le de n'importe quelle manière», disait-il.

Il évoquait même l'utilisation d'une voiture et d'un couteau. «Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d'un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le», précisait-il.

La ministre de la Sécurité publique du Québec a initialement demandé à la SQ de faire enquête sur cet événement puisqu'un homme est mort dans une intervention de la police de Saint-Jean. Mais en raison du lien du suspect avec l'idéologie terroriste, la GRC a rapidement pris contact avec la SQ pour discuter de la répartition future des rôles dans cette affaire. «Ils vont tirer très fort pour en faire une affaire de sécurité nationale et prendre ça en charge, c'est certain», a observé une source issue de l'antiterrorisme en soirée.

À l'Hôpital général de Montréal, les pleurs des proches du soldat blessé retentissaient dans les couloirs, alors qu'ils attendaient des nouvelles des médecins, accompagnés d'un aumônier des Forces armées canadiennes. «C'est une tragédie», a déclaré ce dernier.

Informations «troublantes»

En journée, alors que les détails de l'événement filtraient au compte-gouttes, un député conservateur a évoqué à la Chambre des communes un «potentiel attentat terroriste à Saint-Jean-sur-Richelieu». Le premier ministre Stephen Harper a répondu que les informations entourant cet événement étaient «troublantes» et que le gouvernement suivait la situation de près.

Le ministre de l'Emploi et du Développement social, Jason Kenney, a renchéri sur le sujet un peu plus tard. «Il y a toujours la menace, qui est réelle. Et nous accordons beaucoup de confiance aux agences de sécurité afin de prévenir les attentats. Mais c'est impossible de les empêcher totalement», dit-il.

Après avoir invité chacun à ne pas sauter trop vite aux conclusions, le NPD a remis en question la gestion de la menace par les autorités. «Comment ça se fait que cet individu-là ait pu se rendre dans cette situation-là? On a parlé dans le dossier de l'Irak de gens qui seraient revenus au Canada. Si elles connaissaient la présence de ces gens-là, comment ça se fait que les autorités compétentes n'ont pas agi?», a demandé la députée néo-démocrate de Laurier-Sainte-Marie, Hélène Laverdière.

- Avec la collaboration de Daniel Renaud, Philippe Teisceira-Lessard, David Santerre, Annabelle Blais, Daphné Cameron et Louis-Samuel Perron