Si l’expression « gros bon sens » n’était pas aussi galvaudée, j’aurais envie de dire que c’est une victoire du gros bon sens que ce jugement de la Cour d’appel qui donne enfin accès aux garderies subventionnées aux enfants de demandeurs d’asile au Québec.

Disons plutôt, à l’abri des slogans creux, que c’est une victoire pour tous ceux qui ont à cœur une société égalitaire et inclusive.

En confirmant le droit des demandeurs d’asile d’envoyer leurs enfants dans les CPE et les garderies subventionnées, la Cour d’appel souligne que leur refuser cet accès est discriminatoire et contraire au droit à l’égalité inscrit dans les Chartes québécoise et canadienne.

Au Québec, on sait depuis longtemps que le système universel de garderie à tarif réduit mis en place par Pauline Marois n’est pas un luxe, mais bien un outil d’émancipation indispensable pour les femmes. Il a permis à nombre de mères d’aller sur le marché du travail, de sortir de la pauvreté et d’être indépendantes.

Étrangement, alors que l’égalité hommes-femmes est une valeur cardinale de notre société et que l’on sait très bien que ce sont les mères les plus vulnérables qui gagneraient le plus à bénéficier d’une garderie subventionnée, ce sont précisément ces mères-là qui en ont été privées ces dernières années. En avril 2018, sans préavis, Québec a décidé d’exclure les demandeurs d’asile du droit d’accéder aux services de garde à la petite enfance à contribution réduite à la suite d’une directive émise par le gouvernement libéral, qui a été maintenue par le gouvernement caquiste élu l’automne suivant.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

L’avocate Sibel Ataogul

« Ça n’a pas de bon sens ! », s’est dit l’avocate Sibel Ataogul, si indignée par la cause qu’elle a décidé de la défendre pro bono avec son équipe.

L’injustice de la situation a sauté aux yeux de l’avocate quand elle a découvert avec stupeur qu’une mère demandeuse d’asile qu’elle aidait à déménager n’avait pas accès aux garderies subventionnées.

« J’étais enceinte quand on a commencé le dossier. La blonde de mon collègue était enceinte aussi. Les deux, nous avons des enfants dans des garderies subventionnées. On se disait : nous, avec tous nos privilèges et nos ressources, nos deux parents à la retraite, nous avons accès à une garderie. Et cette femme-là, avec trois enfants, qui vient d’un pays où elle a été opprimée, n’y a pas accès ? Ça me semblait tout simplement horrible. »

La situation était d’autant plus absurde que l’on parle ici de parents qui ont un permis de travail, mais à qui on bloque l’accès au marché du travail. On parle surtout de mères n’ayant pas de famille ici pouvant garder leurs enfants et qui, contre leur gré, se retrouvaient dépendantes de l’aide sociale et complètement isolées.

Comme si la société lançait à ces femmes un bouquet de messages contradictoires en même temps.

Travaillez, mesdames ! Vous êtes ici dans une société égalitaire où vous avez les mêmes droits que les hommes. Vous êtes nos anges gardiennes dans les CHSLD. Mais en passant, restez chez vous avec les petits comme dans les années 1950, s’il vous plaît ! Il n’y a pas de gardiennes pour les anges gardiennes…

Soyons clairs : il ne s’agit en aucun cas ici d’exiger un accès privilégié aux garderies subventionnées pour les enfants de demandeurs d’asile, dans un contexte où l’accès est déjà difficile pour l’ensemble des familles. Il s’agit simplement de leur donner la même possibilité de s’inscrire sur la liste d’attente que les autres résidants du Québec titulaires d’un permis de travail.

Pourquoi ? Parce que l’exclusion, qui a empêché depuis 2018 des milliers de parents demandeurs d’asile de travailler, de s’intégrer et d’apprendre le français, finit par coûter encore plus cher à la société. Ce n’est jamais un bon calcul.

« Les demandeurs d’asile ont un permis de travail. Ils ont tout ce qu’il faut pour être actifs demain matin et pour payer des impôts. Mais jusqu’à maintenant, ces personnes n’avaient même pas la possibilité de s’inscrire sur une liste d’attente pour avoir une place subventionnée », rappelle Maryse Poisson, directrice des initiatives sociales au Collectif Bienvenue, qui porte cette cause depuis 2018 avec le Comité Accès Garderie.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Maryse Poisson (à droite), directrice des initiatives sociales au Collectif Bienvenue, lors d’un rassemblement pour la défense du droit à l’asile au Canada, en juin dernier

En les pénalisant, c’est toute la société qui se pénalise aussi, dit Maryse Poisson, qui rencontre tous les jours des femmes dans cette situation.

« Je connais plusieurs demandeuses d’asile qui ont leur certificat de préposée aux bénéficiaires qui pourraient travailler demain matin dans les CHSLD… J’en connais une qui faisait garder ses enfants par sa voisine. Le jour où sa voisine n’était plus disponible, elle a dû démissionner du CHSLD. »

[Les demandeuses d’asile] sont des personnes qui peuvent être là demain matin pour occuper des emplois essentiels, mais pour qui il est impossible de contribuer à l’économie si elles n’ont pas accès aux garderies subventionnées.

Maryse Poisson, directrice des initiatives sociales au Collectif Bienvenue

À bout de ressources, l’une d’elles, qui était infirmière en Haïti, a fini par déménager au Nouveau-Brunswick pour pouvoir travailler et avoir accès à une garderie subventionnée.

C’était quand même stupéfiant de voir le gouvernement Legault défendre jusqu’en Cour d’appel une directive discriminatoire qui a ainsi empêché des milliers de mères d’entrer sur le marché du travail au Québec. Son entêtement a fini par se retourner contre lui. Loin de gagner quoi que ce soit, le gouvernement a perdu de façon plus éclatante encore devant le plus haut tribunal de la province.

« Ce que la Cour d’appel nous dit est encore plus fort que ce que la Cour supérieure nous avait dit », souligne Maryse Poisson.

Il faut maintenant espérer que le gouvernement ne porte pas son entêtement jusqu’en Cour suprême. Car sa « défaite » est en réalité une victoire pour tout le Québec. Pour les mères migrantes qui voient le principal obstacle à leur intégration, à leur francisation et à leur émancipation enfin levé. Pour leurs enfants qui, forts d’un passage en garderie, démarreront leur parcours scolaire québécois d’un bon pied. Pour l’ensemble de la société québécoise qui, dès aujourd’hui, pourra miser sur la pleine contribution de tous ceux et celles qui y déposent leurs espoirs.