Que feriez-vous en échange d’un petit 100 piastres ? Jaser avec un maire ou un individu dont vous venez de découvrir l’existence ? Ça se peut. Commettre un crime et compromettre votre carrière ? Ça, c’est moins probable. Beaucoup, beaucoup moins probable…

Le scénario plus fréquent du financement des partis ressemble plutôt à ceci. Un militant aime une vedette de son parti. Quand il voit par exemple Eric Girard, il éprouve une émotion sincère, au moins aussi vive que celle ressentie par le ministre lui-même lorsqu’il rêve à la ligne de centre des Kings de Los Angeles. Et le militant est prêt à dépenser son propre argent pour voir sa vedette. Il veut aider la machine électorale. Et parfois aussi profiter de son adhésion pour contribuer aux débats sur le programme politique.

Voilà, en gros, notre système de financement des partis. Il est jugé exemplaire, mais ça n’a pas toujours été le cas.

En 2012, un fumet de corruption empestait le Québec. Le financement des partis a été réformé par les libéraux, puis par les péquistes. Les dons ont été plafonnés, de 3000 $ à 1000 $, puis à 100 $. Et les dépenses en campagne électorale ont aussi été réduites.

Au fédéral, on permet un don de 1725 $. Aux États-Unis, les contributions sont illimitées, même pour les entreprises, au nom d’une conception tordue de la liberté d’expression.

Chez nous, à peine le quart de la cagnotte des partis vient des dons. Le reste est versé par l’État, en proportion des votes.

Le plafonnement des dons et des dépenses a ainsi cassé le système de prête-noms qui finançaient illégalement les partis. Le militantisme n’est plus souillé par les gros dollars ou les craintes de trafic d’influence.

Ce vieux système, Québec solidaire l’avait habilement dénoncé à l’époque grâce au travail de son ancien co-porte-parole Amir Khadir. Aujourd’hui, l’opposition poursuit ce combat.

En 2022, les péquistes s’inquiétaient que la Coalition avenir Québec (CAQ) utilise la présence de ministres à un cocktail comme argument pour vendre des billets⁠1. L’affaire avait fait peu de vagues. C’est la preuve que moins un parti est populaire, moins on lui accorde le bénéfice du doute. Et aussi que cette impopularité incite des gens à partager soudainement leurs textos…

Cette fois, le solidaire Vincent Marissal a trouvé de nouveaux exemples d’invitations maladroites faites à des maires pour participer à une activité de financement caquiste.

CAPTURE D’ÉCRAN DU COMPTE X @VMARISSAL

Malgré la nostalgie des frissons procurés par les histoires de corruption des années 2000, l’affaire doit être dégonflée. Ce n’est pas un scandale. On ne parle pas de corruption, de trafic d’influence ou d’un stratagème. Mais ce n’est pas anodin non plus. On a envie de crier amicalement ceci aux députés : faites-vous exprès ?

Laissez venir les gens à votre cocktail par conviction, non par intérêt.

En septembre dernier, le Directeur général des élections publiait un rapport de 172 pages sur la révision de la loi – pour le lire immédiatement et en entier, consultez sans tarder le lien en bas de page2.

Pour les autres, en voici un extrait. À la page 83, on reconnaît que la présence de ministres à une activité de financement partisane peut causer un malaise, car il occupe une « charge publique ». Le chien de garde électoral se demande s’il faudrait encadrer cette pratique. Autres suggestions : mieux séparer les publicités partisanes et gouvernementales et resserrer les dépenses en période préélectorale.

Selon la loi, un don ne peut pas être sollicité en échange d’une « contrepartie ». Il est donc normal d’être vigilant.

Mais sans banaliser l’histoire, il faut la relativiser. On est très loin des dérives de l’ère Charest, où les ministres devaient amasser 100 000 $ en dons, ce qui pouvait faire de certains à la fois des donneurs d’ouvrage et des quêteux.

On comprend la frustration de l’opposition, qui n’a pas de ministres à utiliser en leurre pour ses activités de financement. Mais elle aussi reçoit des dons de maires.

Où tracer la ligne ? Ce n’est pas simple.

Les élus n’auraient pas le droit de contribuer aux partis ? Et pourquoi pas aussi les entrepreneurs faisant des affaires avec l’État ? Au nom de la séparation entre les activités partisanes et le gouvernement, devrait-on exclure les ministres de ces cocktails ? Ou abolir les dons privés et passer à un financement entièrement public ? Cela aurait l’avantage de dissiper tout soupçon de glissement éthique. Mais cet avantage serait à la hauteur du problème actuel. Petit.

En contrepartie, il aurait deux inconvénients.

Le premier : compliquer l’émergence de jeunes partis qui seraient privés de ressources à cause de leur faible nombre de votes à la précédente élection.

Le deuxième : décourager la vie militante. Or, le militantisme dans les partis décline déjà. Les partis deviennent l’affaire de leur exécutif et de leur aile parlementaire, au risque de perdre le contact avec leur base populaire.

En attendant le rapport de la commissaire à l’éthique, la CAQ aurait tout intérêt à rappeler ses députés à l’ordre et à leur proposer, pour ceux qui trouvent cela difficile, une formulation neutre pour les invitations à leur prochain cocktail de financement. Ce n’est pas si compliqué.

1. Lisez le reportage de 2022 sur le financement caquiste 2. Lisez le rapport du Directeur général des élections