Et puis, ai-je bien fait de vous conseiller de regarder la Coupe Grey, dimanche dernier, même si vous n’aviez pas ce rendez-vous à votre agenda ? Tellement. Je concluais ma chronique en écrivant : « Ce sont souvent les soirées les moins planifiées qui se révèlent être les plus appréciées. »

Appréciées, le mot est faible. On a complètement capoté sur ce match de football. Le miracle a eu lieu. Les négligés ont gagné. C’est toujours plaisant quand les négligés triomphent, ce l’est encore plus quand les négligés, c’est nous ! La fin de la partie fut hallucinante. Les Alouettes ont joué d’audace et l’audace a payé.

On était encore sur notre high, comme on dit à Hamilton, quand l’excellent animateur de RDS Matthieu Proulx, se promenant sur le terrain pour recueillir les élans de joie des joueurs, a tendu le micro à Marc-Antoine Dequoy, des Alouettes.

Excusez-la, mais on a pogné Dequoy : « Ils n’ont jamais cru en nous. Tu regardes partout, c’est écrit en anglais. Sur TSN, c’était écrit Toronto contre Winnipeg. Tu viens ici, ça parle juste anglais. Ils n’ont jamais cru en nous. Vous savez quoi ? Gardez-le, votre anglais, parce qu’on a gagné cette coupe-là et qu’on va la ramener chez nous à Montréal, on va la ramener au Québec, on va la ramener chez nous parce qu’on est fucking champions ! »

Une bombe ! Un cri du cœur lancé avec toute la vitalité dont est capable un joueur de football.

La Coupe Grey est le championnat du football canadien. Le Canada est un pays bilingue. Le logo de cet évènement devrait être dans les deux langues officielles : GREY CUP – COUPE GREY. Ce n’est pas trop demander. Depuis trop longtemps, l’unilinguisme anglophone des fonctions et manifestations officielles, dans notre pays, ne nous offusque pas assez. Alors, they don’t care. Marc-Antoine Dequoy, en bon maraudeur, ne s’est pas laissé marcher sur les pieds.

Beaucoup d’anglophones n’ont pas compris. Ils ont prétendu que c’était une charge contre l’anglais. Not at all. Ce n’était pas offensif. Ce n’était pas offensant. C’était défensif. Marc-Antoine a défendu la présence du français dans une ligue canadienne. Nuance. Une semaine plus tôt, lors de la finale de l’Est présentée à Toronto, l’hymne national avait été chanté en anglais tout du long. Un oubli. Justement, Marc-Antoine s’est arrangé pour qu’on ne l’oublie pas. Puis la chaîne TSN a indiqué, dans son guide télé, que la Coupe Grey allait opposer Toronto à Winnipeg, malgré la victoire de Montréal. On avait une semaine pour corriger l’erreur, on n’a même pas pris la peine de le faire. Imaginez CBS qui convie les gens au Super Bowl opposant Kansas City à Philadelphie, mais ce n’est pas Philadelphie, c’est La Nouvelle-Orléans. Pas grave, on laisse ça comme ça ! Impensable !

Arrivent, en cherry sur le sundae, les festivités de la Coupe Grey à Hamilton où le bilinguisme n’est pas respecté.

Pourtant, le Canada n’a jamais été aussi sensible à sa diversité. Aussi ouvert à inclure toutes les cultures, toutes les différences, toutes les minorités. C’est comme si la minorité francophone était passée date. Comme si ce n’était pas au goût du jour de lui plaire. Pourquoi ? Dans la bienveillance canadienne, il y a cette exception, qu’eux seuls peuvent expliquer. On leur a trop tapé sur les nerfs ? Notre cause n’est plus à la mode ? Nous avons nous-mêmes abdiqué ?

Il y a sûrement de ça dans le fait que ça ne nous choque plus autant, toutes ces démonstrations de non-respect. Dequoy n’a pas seulement réveillé les anglophones, il a réveillé aussi les francophones.

Le coach des Alouettes, Jason Maas, a misé sur le français pour créer l’identité de son équipe. Depuis le camp d’entraînement, il insiste pour que ça parle en français dans le vestiaire, et pour que les anglophones apprennent des mots dans la langue de Dequoy. Bref, il a développé le sentiment de fierté de son équipe. Comme au temps du Canadien de Montréal des belles années.

Dans la vie, il y a deux sortes de personnes qui nous motivent, celles qui croient en nous et nous encouragent et celles qui ne croient pas en nous et nous découragent. Souvent ce sont les seconds qui sont responsables du plus grand nombre de réussites.

Les Alouettes étaient chanceux, ils avaient les deux. Le public québécois qui croyait en eux et les respectait et le public Canadian qui ne croyait pas en eux et ne les respectait pas. La carotte et le coup de fouet, tout pour vous faire avancer.

Gens du R.O.C., si vous aviez donné au français la place qui lui revient lors de la Coupe Grey 2023, Winnipeg l’aurait peut-être gagnée. Ça, c’est le genre d’argument qui peut peut-être vous faire agir.

Dimanche dernier, les Alouettes ont gagné plus qu’une coupe, ils ont gagné notre respect, notre affection et notre passion. Ils ont prouvé que leur équipe faisait partie d’une équipe encore plus grande qu’elle : la nôtre.