Les parlementaires québécois venaient tout juste d’adopter une motion pour se dissocier de l’ovation à un ancien nazi par leurs collègues des Communes, la semaine dernière, quand ils ont appris qu’un suprémaciste blanc s’apprêtait à polluer la colline parlementaire de ses idées rances.

Les élus n’ont pas tergiversé : ils se sont mis d’accord pour écarter Alexandre Cormier-Denis des consultations générales sur la planification de l’immigration. C’était la seule chose à faire, dans les circonstances.

Mais voilà qu’une semaine plus tard, on s’interroge. « L’Assemblée nationale priée de s’expliquer après avoir écarté un ethnonationaliste », titrait mercredi Radio-Canada sur son site web. On n’aurait pas dû ouvrir la porte à ce personnage, convient-on, mais on n’aurait surtout pas dû lui retirer sa tribune sans justification. Toute l’affaire aurait laissé une désagréable impression d’arbitraire.

Lisez l’article de Radio-Canada « L’Assemblée nationale priée de s’expliquer après avoir écarté un ethnonationaliste »

Il me semble pourtant qu’il n’y a pas de mystère dans la décision des parlementaires. Pour une fois, c’est même parfaitement clair : Alexandre Cormier-Denis n’avait pas sa place à l’Assemblée nationale.

La décision des élus n’avait rien d’arbitraire ; il suffit de lire quelques-unes des déclarations d’Alexandre Cormier-Denis pour le comprendre. Je vous offre quelques extraits, parmi les plus édifiants. Mais je vous préviens : bouchez-vous le nez, ça pue.

  • À propos des immigrants africains : « C’est nous, la chance, pour eux. Parce qu’eux, ils viennent de pays de chiotte. C’est des pays du trou du fin fond de l’Afrique. C’est nous, la chance. C’est de vivre dans un pays blanc à haut quotient intellectuel civilisé. »
  • À propos des Autochtones : « Les sauvages ! Les primitifs ! On les a civilisés. On n’en a pas assez fait. On ne les a pas assez assimilés. C’est ça, la réalité. On s’est arrêtés en milieu de route. Il fallait y aller à fond s’il fallait les assimiler. Faut arrêter les conneries. L’homme blanc a amené la modernité, il fallait bien les déraciner de leur monde primitif, du néolithique, bon Dieu ! »
  • Aux immigrants qui se plaignent supposément de vivre dans un Québec trop blanc : « C’est justement pour ça que vous venez ici ! Parce qu’on est une société à haut quotient intellectuel qui vient de la plus grande civilisation qui n’ait jamais existé, c’est-à-dire l’Occident blanc et chrétien. C’est pour ça que vous fuyez vos pays merdiques du tiers-monde ! »

Alexandre Cormier-Denis se plaint d’être cité hors contexte. Aucun contexte au monde ne justifie de proférer pareilles énormités. Il se lamente du fait que les médias lui accolent l’étiquette de suprémaciste blanc. Relisez les extraits : ce qu’il déblatère correspond en tout point à cette définition.

Non, l’Assemblée nationale n’avait pas à entendre cet individu, qui s’est lui-même disqualifié par son racisme décomplexé, voire revendiqué. Alexandre Cormier-Denis n’a qu’une personne à blâmer pour ce qui lui arrive : lui-même.

Personne ne l’avait invité. Les consultations de ce genre permettent à tout citoyen ayant soumis un mémoire d’aller le présenter en commission parlementaire. Ça donne parfois lieu à des échanges mémorables, quoique peu glorieux, comme le témoignage livré par le couple Pinault-Caron lors des consultations sur le projet de charte de la laïcité, en janvier 2014.

Personne ne l’avait invité, donc. Mais après avoir compris à qui elle avait affaire, l’Assemblée nationale avait parfaitement le droit de l’écarter. Elle en avait même le devoir. Lui offrir une tribune, dans les circonstances, aurait été ni plus ni moins scandaleux.

Lisez l’article de Pivot « Un ethno-nationaliste à la commission parlementaire sur l’immigration »

On a souligné, comme pour l’excuser, que le mémoire d’Alexandre Cormier-Denis n’était pas si terrible que ça. Vrai que le document n’aborde pas de front la supériorité de la race. Il recommande plutôt de « miser sur la compatibilité civilisationnelle » en matière d’immigration, expliquant qu’un Québécois est « anthropologiquement plus proche d’un Américain de Nouvelle-Angleterre que d’un habitant du Sahel africain ».

On peut fort bien imaginer que le polémiste aurait tâché de limiter ses envolées racistes devant les parlementaires. Reste qu’en politique, les symboles sont importants.

Yaroslav Hunka s’est bien comporté aux Communes, la semaine dernière. Le vieil homme n’en demeure pas moins un ancien soldat nazi. Sa seule présence au Parlement a eu des conséquences graves, provoquant la démission du président de la Chambre, plongeant le Canada dans l’embarras à la face du monde et alimentant la machine à propagande russe, qui n’en demandait pas tant.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ancien soldat nazi Yaroslav Hunka, le 22 septembre dernier, à Ottawa

Après ce gigantesque cafouillage, accueillir un suprémaciste blanc à l’Assemblée nationale, en toute connaissance de cause, aurait eu une portée symbolique dévastatrice pour l’image du Québec.

Cela aurait envoyé un très mauvais message, comme si les opinions de cet individu méritaient d’être entendues par les représentants du peuple québécois. Cela aurait banalisé son discours, normalisé ses thèses nauséabondes.

Il y en a pour s’émouvoir : et la liberté d’expression, dans tout ça ? Qu’ils se rassurent : Alexandre Cormier-Denis en use et en abuse, de cette liberté. Sur ses réseaux sociaux, à travers sa chaîne payante et sur les ondes de Radio X, où il est désormais chroniqueur hebdomadaire.

Sa liberté d’expression va très bien, merci.

Évidemment, ça ne l’empêchera pas de crier à la censure. Comme ça n’empêchera pas un paquet de gens de citer Voltaire, qui aurait un jour affirmé que, sans être d’accord avec ce que vous dites, il se battrait jusqu’à la mort pour que vous puissiez l’exprimer (scoop : il n’a jamais dit ça).

À cette citation apocryphe, permettez-moi d’en opposer une autre, qui résume bien le paradoxe de la tolérance de Karl Popper. Ce philosophe estimait qu’une tolérance sans limites ne pouvait mener qu’à la disparition de la tolérance : « Il nous faut donc réclamer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer l’intolérant. »

C’est exactement ce que l’Assemblée nationale a fait, et très bien fait.