Il arrive que les évènements de l’actualité fassent des liens tous seuls.

Dans leur enchaînement, ils racontent une histoire. Il ne reste plus qu’à ajouter une mise en contexte et quelques adjectifs pour en faire une chronique. Pour le reste, les faits hurlent par eux-mêmes.

Ça s’est passé cette semaine.

Jeudi, Pierre Poilievre s’est fait prendre la main dans les algorithmes. Depuis quatre ans, le chef conservateur a mis quelque 50 vidéos sur YouTube avec le mot-clic #MGTOW (Men Going Their Own Way), un code utilisé par les misogynes. L’affaire a été révélée par Global News.

Ce froid calcul visait à courtiser le mouvement masculiniste. M. Poilievre devait croire que son message était susceptible de plaire à ses adhérents… D’ailleurs, selon un sondage EKOS publié en septembre, les conservateurs sont le parti avec le plus gros écart entre l’appui des hommes (41 %) et des femmes (26 %)⁠1.

Aux lecteurs déjà en train de m’écrire un courriel : il n’y a rien de forcément mal à être appuyé par les hommes. Mais disons qu’avec ce mot-clic, M. Poilievre n’en appelle pas aux meilleurs instincts.

Pour ceux qui se demandaient que penser de cette histoire, l’univers a jugé bon de provoquer un autre évènement cette semaine. YouTube a dénoncé grossièrement le projet de loi C-11.

Selon le système actuel, les télédiffuseurs versent une redevance pour financer la production de contenu canadien. Les services en ligne comme YouTube, Spotify, Netflix ou Disney en sont exemptés. Cela avantage ces géants étrangers face aux sociétés d’ici comme Québecor et Radio-Canada. Et cela dilue la culture québécoise et canadienne. C’est donc un problème à la fois d’équité et de diversité culturelle.

Dans le rapport Yale⁠2, des experts ont recommandé d’adapter la loi au XXIe siècle. Le gouvernement Trudeau les a écoutés. Avec C-11, il soumettrait les plateformes comme Netflix et YouTube à la réglementation, tout en l’assouplissant. Leur présentation des contenus devrait dorénavant se faire en partie en fonction de normes choisies démocratiquement, et non d’impératifs commerciaux secrets.

À ceux qui paranoïent : ce système est en place depuis des décennies. S’il était ingérable et liberticide, on le saurait.

Pour dissiper les craintes, le ministre Pablo Rodriguez a précisé que la loi ne visait que le contenu commercial. L’État ne mettra donc pas ses sales pattes dans vos vidéos de chat.

YouTube et Google rouspètent. Ils voient le monde autrement. À leurs yeux, les citoyens sont des consommateurs, la culture est un simple contenu et la transparence est un obstacle à la maximisation des profits.

Le Chief Product Officer de YouTube, Neil Mohan, a publié un message — unilingue en anglais — pour dénoncer C-11. Il veut protéger l’« expérience personnalisée » des usagers. Traduction libre : continuer de les enfermer à leur insu dans une chambre d’écho.

YouTube prétend vouloir préserver le « choix ». Voilà une vaste blague. Ce « choix », c’est en fait le tri fait par des algorithmes afin de garder les cerveaux captifs pour les annonceurs.

YouTube dit souhaiter que les internautes continuent de regarder les vidéos qui ont « de la valeur pour eux ». Cela mérite d’être précisé…

En fait, pour le géant, la valeur se mesure en dollars. Et le terme « eux » renvoie à la multinationale, et non aux usagers. Car pour YouTube, la culture est un produit comme les autres, le libre choix est quelque chose que l’on manipule avec des ficelles et les faits sont relatifs. Tout est une affaire de profits qui, grâce aux miracles du capitalisme techno, ont tendance à se téléporter dans les paradis fiscaux.

Je n’ai rien contre YouTube. Au contraire, comme mélomane, j’y trouve de nombreuses perles rares. Ce que projette le fédéral est toutefois très raisonnable : mettre fin à un avantage indu qui fragilise la culture d’ici.

La Chambre des communes a fini d’étudier C-11. Le projet est rendu au Sénat. Le comité qui mène cet exercice est présidé par Leo Housakos, qui pilotait la campagne de M. Poilievre au Québec. C’est ainsi qu’il faut comprendre la sortie de YouTube : une manœuvre désespérée pour inciter une poignée de sénateurs à bloquer la réforme.

Les conservateurs ont une chose en commun avec YouTube : eux aussi profitent de la désinformation en ligne.

Le sondeur EKOS a publié en septembre un index de la « désinformation » sur la COVID-19⁠3. Parmi ceux qui croyaient aux quatre mensonges proposés, 70 % appuyaient le Parti conservateur. Chez ceux qui ne faisaient pas d’erreurs factuelles, le taux chutait à 14 %.

M. Poilievre promet de faire du Canada le « pays le plus libre au monde ». Mais un citoyen peut-il être libre dans l’ignorance ? Peut-il vraiment choisir quand on manipule les choix offerts ? Et une entreprise peut-elle être libre dans un système inéquitable ?

Si la liberté n’est pas qu’un vulgaire slogan, la réponse devrait venir de soi.

1. Consultez les résultats du sondage d’EKOS sur les intentions de vote (en anglais) 2. Lisez notre résumé du rapport Yale

3. Les énoncés du sondeur EKOS suggérés pour composer l’indice de désinformation :

  • le nombre de morts causées par la COVID-19 [est] exagéré ;
  • les morts causées par le vaccin sont cachées au public ;
  • les vaccins contre la COVID-19 peuvent rendre infertile ;
  • les vaccins contre la COVID-19 peuvent changer l’ADN.

À la limite, on peut s’interroger sur la pertinence du premier énoncé. Des gens peuvent raisonnablement se demander si des patients atteints de la COVID-19 sont morts en raison de causes multifactorielles et si le calcul des morts en tient compte. Par exemple, l’INSPQ fait des tableaux pour distinguer les morts de la COVID-19 qui avaient aucune, une ou deux affections médicales préexistantes. Les autres questions d’EKOS touchaient toutefois au cœur de la désinformation.

Consultez les résultats du sondage d’EKOS sur la désinformation (en anglais)