« Tout le monde le savait. » Avez-vous remarqué cette phrase qu’on entend depuis jeudi ?

Ah oui ? Savait quoi ?

Dans le cas de Philippe Bond, dès 2007, il ne s’agissait pas de simples ragots, de rumeurs sans fondement. Il avait déjà à son passif une lettre d’excuses à une dizaine de femmes dont certaines avaient été tripotées ou frenchées sans se faire demander leur avis au cours d’un seul party.

Lisez « Huit femmes accusent Philippe Bond d’inconduites sexuelles »

Je ne connais pas beaucoup de milieux de travail où quelqu’un garde sa job après ça – oui, « même » en 2007.

Mais quand on a du pouvoir, ou qu’on génère des revenus comme un Marcel Aubut dans le temps, on passe plus facilement l’éponge sur les écarts de conduite.

On arrange les affaires. On minimise.

On a la définition de l’« incident isolé » large, quand l’auteur est puissant ou payant. Même quand les « incidents isolés » s’additionnent. On regarde ailleurs.

Et ça continue.

Je ne sais pas qui « savait » et chacun n’a pas à enquêter sur son prochain. Mais à l’évidence, la connaissance générale dépassait largement la simple rumeur. Comme bien des gens ayant embauché Éric Salvail étaient au courant de ses inconduites diverses.

Remarquez avec quelle précipitation les employeurs, evenko, radio Énergie, ont largué Philippe jeudi.

Ils ne veulent pas être associés à « ça », bien sûr. J’imagine qu’ils ne « savaient » pas tout ce qui a été publié jeudi, ni même le dixième ? Rien, rien, rien ?

Eh ben.

Je cite le producteur Guillaume Lespérance, sur Twitter jeudi : « Ça fait PLUSIEURS années que je refuse d’avoir Philippe Bond sur mes productions. L’article de ce matin explique cette décision. Courage aux victimes et respect aux journalistes. »

Donc ce producteur en savait assez pour ne pas embaucher Bond, mais les producteurs réguliers de spectacles de Philippe Bond ne savaient rien ? Ni son employeur radio quotidien ?

Légalement, il vaut mieux qu’ils n’aient rien su. Autrement, « savoir » qu’on embauche un auteur d’inconduites sexuelles en série, c’est mettre plein de gens à risque. C’est engager sa responsabilité civile – demandez à Hockey Canada.

J’imagine donc que ces sociétés n’ont jamais reçu d’informations inquiétantes, directement ou indirectement ?

OK, evenko, Énergie « ne savaient rien » quand tout un milieu dit que « tout le monde le savait ». Je comprends qu’une tonne de rumeurs ne fait pas une preuve. Mais permettez-moi d’être étonné que des entreprises en relation continue pendant des années avec un tel individu n’aient jamais reçu la moindre information nécessitant une vérification.

Autrement, ces entreprises avec de belles « valeurs corporatives » ressembleraient à l’Église catholique, qui se contentait de déplacer de paroisse en paroisse les curés dangereux, quand elle apprenait des choses choquantes.

Alors, ça continuait. Encore. Et encore.

J’en entends qui protestent. Comment oser comparer un milieu si cool, ouvert d’esprit et progressiste à l’Église ?!

Savez-vous, je regarde ce que « tout le monde savait » sur Rozon, Salvail, Bond, etc. Et si les motivations varient, la mécanique du silence du milieu et de l’aveuglement est pas mal la même…

Je viens de parler d’inconduite sexuelle et de responsabilité civile. Mais ce qui était décrit dans les textes de La Presse jeudi, c’était bien plus que de l’inconduite, des grossièretés ou du harcèlement.

Les témoignages nous racontent ce qui a toutes les apparences d’actes criminels carrément.

Des témoignages dont plusieurs sont faits à visage découvert – une prise de parole massive, déferlante, presque impensable il y a dix ans.

Et si certaines l’ont fait, ce n’est pas faute d’avoir tenté d’alerter la police. C’est parce qu’elles ont été renvoyées.

Ces femmes ont dit avoir porté plainte à la police, et avoir été éconduites ou avoir été découragées de le faire au poste de police.

Impossible de le vérifier, surtout pour des faits remontant à 15 ans. Mais vu l’évolution des pratiques policières depuis 2007, le moins qu’on puisse exiger des corps de police impliqués est qu’ils retournent dans leurs dossiers pour voir comment ils ont été traités… Si dossier il y a.

Les faits avancés dans ce dossier de La Presse sont à l’évidence des motifs d’enquête criminelle. Y en a-t-il eu ?

Les victimes ne sont pas obligées de porter plainte à la police. Mais si elles le font, et qu’elles sont renvoyées sommairement comme elles le disent, on ne peut pas laisser faire.

Une enquête est encore tout à fait possible – et justement, Lisa Matthews entend porter plainte à la police de Gatineau.