Quelque 420 000 travailleuses et travailleurs du front commun de quatre syndicats (CSN, CSQ, FTQ et APTS) seront en grève les 21, 22 et 23 novembre dans le cadre de la renégociation des ententes collectives dans la fonction publique. Ce n’est pas la première fois que les syndicats s’unissent pour parler d’une voix. Retour dans le temps.

1972

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Les leaders syndicaux Louis Laberge, Yvon Charbonneau, Marcel Pepin et leurs proches, en route vers le palais de justice de Québec lors d’une manifestation en 1972

L’histoire du front commun intersyndical de 1972, regroupant 210 000 travailleurs, est demeurée dans les annales de l’histoire syndicale du Québec. D’abord en raison d’une grève générale illimitée déclenchée le 11 avril, suivie par l’adoption du projet de loi 19 le 21 avril forçant un retour au travail. Ensuite, parce que les trois chefs syndicaux, Louis Laberge (FTQ), Marcel Pepin (CSN) et Yvon Charbonneau (CEQ), ont fait de la prison pour avoir recommandé à leurs membres de ne pas respecter les injonctions.

Le bilan de ce front commun ? Il se divise en deux. Les syndicats obtiennent l’essentiel de leurs demandes : sécurité d’emploi, indexation des salaires au coût de la vie, salaire minimum de 100 $ par semaine. Par contre, les syndiqués de la CSN vivent un schisme le 28 mai, lorsque des dissidents expulsés forment la Centrale des syndicats démocratiques (CSD). « Ce premier front commun a été le laboratoire de la construction de l’unité et de la solidarité syndicale de plusieurs groupes aux intérêts parfois divergents, a écrit Monique Audet, économiste à la FTQ. Il a réussi à faire face à un État-employeur doté d’un arsenal d’armes législatives auquel ce dernier n’a pas hésité à recourir. »

1975-1976

Dans un contexte où l’usure du pouvoir mine le Parti libéral du Québec et où la popularité du Parti québécois le mènera vers la victoire du 15 novembre 1976, le front commun CSN-FTQ-CEQ se reforme. Parmi ses demandes : l’élimination des discriminations salariales et des hausses de salaire supérieures à ce que prévoit la loi anti-inflationniste. Aux débrayages succèdent des lock-out. Le gouvernement Bourassa adopte le projet de loi 253 sur les services essentiels. En octobre 1976, à quelques semaines des élections, les syndicats font plusieurs gains, dont un salaire minimal de 165 $ par semaine, un congé de maternité sans solde de 17 semaines, etc. Une fois au pouvoir, le PQ annule les poursuites entamées par Québec contre quelque 7000 syndiqués qui avaient défié la loi découlant du projet 253.

1979

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Dans les hôpitaux en novembre 1979, les cadres plient les draps, comme en témoigne cette légende publiée dans La Presse.

Sympathiques au premier gouvernement Lévesque, qui adopte entre autres une loi antibriseurs de grève en 1977, les grandes centrales syndicales ne demeurent pas moins unies pour négocier, en 1979, un nouveau contrat de travail dans le secteur public. Outre les hausses salariales, la question des congés parentaux est au cœur des négociations.

Les parties n’arrivant pas à s’entendre, les syndicats adoptent un mandat de grève. Le gouvernement réplique en adoptant, le 13 novembre, le projet de loi 62 suspendant le droit de grève pour 17 jours et forçant un vote secret des employés sur les propositions gouvernementales.

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Annonce du gouvernement publiée dans La Presse du 17 novembre 1979 à propos de l’adoption du projet de loi 62

Dès lors, les associations syndicales sont divisées. Certains groupes décident de respecter la loi découlant du projet de loi 62, d’autres non. Dans certains hôpitaux, les membres de la Fédération des affaires sociales de la CSN entrent en grève. Le 21 novembre, la CSN et la FTQ donnent leur accord à une entente prévoyant un salaire hebdomadaire minimal de 265 $ par semaine et une convention collective se terminant le 31 décembre 1982. Le 18 décembre, le gouvernement adopte une loi-décret forçant les 11 000 travailleurs d’Hydro-Québec à rentrer au travail. La CEQ fait bande à part et poursuit les négociations dans les mois suivants, sans déclencher de grève générale. Les professeurs de cégep s’entendent avec Québec en mars 1980.

1982-1983

Au printemps 1981, un an après l’échec du référendum, le gouvernement péquiste de René Lévesque est réélu avec une plus forte majorité qu’en 1976. Mais le début des années 1980 est marqué par une récession et une flambée des taux d’intérêt sans précédent. Au printemps 1982, le gouvernement Lévesque demande aux syndicats de renoncer aux augmentations de salaire prévues durant les six derniers mois de la convention collective. Devant leur refus, Québec adopte le projet de loi 70 et sabre les salaires jusqu’à 21 % dans une opération de « récupération ». Un geste qui précède le début des négociations pour le renouvellement des conventions collectives. Bonjour, l’ambiance !

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Claude Blanchet, Louis Laberge et Fernand Daoust, en novembre 1983

De fait, les mois qui suivent sont pénibles. Deux projets de loi adoptés, 105 et 111, fixent les conditions de travail des fonctionnaires et mettent fin à une grève de trois semaines dans les écoles et les cégeps publics.

Ce choc « modifierait de manière marquante les rapports entre le Parti québécois, d’une part, le syndicalisme et plus généralement les groupes populaires, d’autre part », écrit Serge Denis, de l’Université d’Ottawa.

Par ailleurs, c’est au terme de cette période tumultueuse qu’est créé le Fonds de solidarité FTQ, constitué par une loi de l’Assemblée nationale adoptée le 23 juin 1983. Fondaction de la CSN sera créé en 1995.

2005

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La présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, fait un discours lors d’une manifestation, à Montréal, en 2005.

D’autres fronts communs ont été créés au fil des décennies. Dans plusieurs cas, des ententes ont été négociées avec l’employeur. En 2005, toutefois, c’est plus corsé. Des grèves tournantes ont lieu à l’automne. Le 14 décembre, le gouvernement Charest met un terme aux négociations par décret. Le premier ministre Jean Charest qualifie les négociations de « face-à-face stérile ». Indignés, les chefs syndicaux qualifient le geste de « méprisant » et parlent de « vaudeville », de « coup de force ». En 2015, d’autres grèves auront lieu avant l’annonce d’une entente, le 17 décembre.

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La manchette de La Presse du 15 décembre 2005

Sources : Jacques Rouillard, Le syndicalisme québécois – Deux siècles d’histoire, Boréal ; Louis Fournier, Histoire de la FTQ : 1965-1992, Québec/Amérique ; Le grand tumulte, documentaire de Magnus Isacsson (ONF) ; Serge Denis, La dernière grève du Front commun syndical au Québec, Bulletin d’histoire politique (vol. 12, n1) ; Monique Audet, Quarante ans de négociations dans le secteur public : 1966-2006, Bulletin d’histoire politique (vol. 19, n2) ; Guillaume Tremblay-Boily, Front commun contre le gouvernement, Fondation Jean-Charles-Bonenfant/Assemblée nationale du Québec.

Une version précédente de ce texte évoquait un lock-out à l’hôpital Notre-Dame, en avril 1976. Certains hôpitaux québécois ont connu des lock-out à cette époque mais ce n’était pas le cas à l’hôpital Notre-Dame.